Focus │ au cœur de la scène indépendante japonaise

Publié le 11 août 2014 par Acrossthedays @AcrossTheDays

Le Japon serait un pays de Bisounours où l’on croise des ninjas se nourrissant exclusivement de sushis et de marshmallows, dansant sur de la pop de mauvaise facture et se courbant à 45° devant chaque personne qu’ils rencontrent. Et bien ce n’est pas tout à fait vrai (étonnant, non ?). On vous propose de plonger au cœur de la scène musicale indépendante japonaise qui tente, du mieux qu’elle peut, de nager à contre-courant de l’aseptisation des penchants populaires.

A la simple évocation des termes « musiques » et « Japon », la grande majorité d’entre nous se crée une image mentale dans laquelle des demoiselles aux visages angéliques et candides se dandinent, déguisées en cupcakes dans un clip ultra-coloré, sur de la J-pop commerciale. Cette vision résume plutôt bien le tableau de cette scène musicale qui, depuis plusieurs décennies, a pris les japonais en otages à grands coups d’artistes préfabriqués évoluant dans des décors en carton. Symbole de cette détresse musicale, le groupe AKB48, qui possède quelques 89 membres, a vendu plus de 226 millions d’albums depuis 2005.

À la fois à la pointe de l’avant-garde et extrêmement conservateur, le Japon est un pays où il est illégal de vendre un CD pour moins de 25$ et où Spotify a installé des bureaux mais n’a pas encore lancé sa plateforme, faute de demande. La vente de CD y détient encore 80% du marché de la musique et lorsqu’un artiste émergeant envoie ses démos à une maison de disque, il doit y joindre une photo afin de pouvoir déterminer si son image est modifiable. Bienvenue au pays du soleil levant, musicalement cloué à sa phase Boys Band. On pourrait pleurer la naïveté du public japonais, tourner les talons et s’en aller. Mais cela se résumerait à passer à côté de la scène indépendante locale qui donne tout ce qu’elle a pour moderniser les tympans de ses confrères.

Nobuki Akiyama a 21 ans et vit à Tokyo. Il est le leader de DYGL (qui apparaissent sur notre dernière compilation) et de Ykiki Beat. Il s’est confié à nous sur les difficultés de percer au Japon, sur ses artistes locaux favoris et sur son rêve de faire une tournée en Europe.

« Au Japon, quand tu joues quelque part, tu n’es jamais payé. Et il est même courant que tu doives payer toi-même pour pouvoir jouer ! »

Batman Wings, Gloomy, Ykiki Beat et Mitsume ont la particularité d’être tous très jeune (moins de 25 ans), de tous être potes et de faire bouger les bas-fonds de la capitale japonaise en essayant tant bien que mal de se faire connaître pour, un jour, avoir l’occasion de partir fouler le sol européen ou américain, sur les traces de leurs idoles. Et se faire connaître au Japon n’est pas chose aisé. « Quand tu joues, tu n’es jamais payé. La plupart du temps, tu dois même payer toi-même pour pouvoir jouer (…) Le prix au mètre carré et les loyers sont tellement élevés ici qu’il est impossible pour une salle de concert de générer du bénéfice sur la venue d’un artiste émergent (…) Les jeunes ici ne consomment pas la musique comme en occident. Très peu d’entre eux boivent de la bière ou consomment de l’alcool en écoutant de la musique. Ce sont des comportements encore marginaux. C’est pourquoi il est aussi difficile de se faire un public et de générer des revenus sur des concerts, alors que c’est ce qui permet aux artistes de démarrer en Europe ou aux États-Unis (…) Ici les artistes sont seulement perçus comme des personnes inutiles qui ne contribuent pas au développement économique du pays (…) Et puis, il y a tellement de sources de divertissements au Japon, et en particulier ici, à Tokyo, que les gens ne se préoccupent pas vraiment de la musique (…) On se sent un peu coincés, alors on tente de se regrouper au maximum, de créer un gros collectif pour permettre à cette scène d’émerger et d’être reconnue. » nous a déclaré Nobuki.

Malgré tous ces obstacles, des artistes arrivent tout de même à se faire signer et à sortir de leur île. C’est le cas de Shugo Tokumaru, tokyoïte de 33 ans qui, du haut de ses six albums, a réussi à faire prendre l’avion à sa pop et à attirer l’attention des médias américains (dont Pitchfork et KEXP).

Il semblerait que la voix du succès se résume à se faire signer sur les quelques labels indépendants locaux (qui ne se comptent que sur les doigts d’une main) tels que P-Vine Records qui, depuis 1975, fait décoller (à petite et moyenne échelle) les carrières d’artistes aux univers divers et variés. On est bien loin d’une carrière mondiale.

On s’est alors demandé comment les artistes japonais indépendant, même non signés sur des labels, font pour passer quasiment inaperçus sur la scène internationale. Car bien que la différence d’alphabet soit un vrai frein à leur communication externe, une grande majorité d’entre eux maîtrisent l’anglais et a accès aux mêmes technologies. Nobuki Akiyama a pu nous éclairer à ce sujet : « Les jeunes ici sont très mauvais en communication web, il faut l’avouer. On utilise Facebook comme un outil de communication entre potes, pas comme un outil de promotion. D’ailleurs, on vit ici un déclin de Facebook au profit de Line (…) Sinon les groupes communiquent essentiellement via leurs comptes Youtube et Tumblr et, lorsqu’ils sortent un EP ou un album, via leur Bandcamp (…) Quelques groupes possèdent bien un compte Facebook, mais les jeunes ici n’ont pas le réflexe de ‘liker’ des pages. »

Ces artistes se mettent donc à rêver d’un départ pour l’Europe ou les États-Unis, là où ton public ne se résume plus seulement à une bande de pote élargie et où tu peux espérer être payé pour ta prestation.

La situation a beau être déprimante pour les artistes japonais, cette scène regorge néanmoins de génie musical. On vous propose donc une sélection d’artistes qui méritent que l’on s’y intéresse de très très près.

- Gloomy : elle a pioché la coupe de cheveux de Grimes et s’est largement inspirée de sa synthpop mais Gloomy reste l’une de nos plus belles découvertes en terre Japonaise.

- Kate : découverte en 2011 à l’occasion d’un remix de Crystal Fighters, l’indie-pop de Kate s’est offerte un merveilleux EP le mois dernier.

- Ykiki Beat : à mi-chemin entre Crystal Fighters et Two Door Cinema Club, Nobuki et sa bande hurlent, à travers leur album ‘Tired Of Dreams‘, leur amour pour la Californie, ses buildings et son soleil.

Mori Ha Ikiteiru : en Googlant leur nom, vous ne trouverez quasiment aucune trace de leur existence. Pourtant leur pop-folk a réussi à attirer le label P-Vine qui les a signés. Une petite bande de veinards !

- Fla$hBacks : Odd Future a inspiré du monde au Japon. En témoigne cette vidéo de Fla$hBackS, collectif regroupant les rappeurs jjj, Febb As Young Mason et KID FRESINO, des mecs badass qui boivent du Pepsi en canette.

- The Otogibanashi’s : ils mélangent rap et skate, possèdent leur propre marque de fringues et des pistolets à eau brandés Supreme.