La situation internationale est tendue. La situation intérieure l’est tout autant. Des manifestations, interdites, dégénèrent. Dans certaines cités, pudiquement appelées sensibles, les urgences ne se déplacent plus et, parfois, cela entraîne des conséquences fâcheuses. Heureusement, les autorités veillent, les douanes, notamment, sont sur le pont. Et un vigneron, archéologue amateur, va salement trinquer.
Oui, parce que s’il y a parfois, en France, des individus qui bénéficient d’une justice très clémente ou d’un vice de procédure commode, d’autres seront, eux, correctement pourchassés, traînés en justice et condamnés d’autant plus fermement que leurs exactions sont abominables et ne méritent aucune pitié de la part des pouvoirs publics et du peuple qu’ils représentent.
De ce point de vue, on ne peut qu’applaudir devant le fier travail de la douane française qui a permis de démanteler tout un réseau de trafiquants d’antiquités, réseau international composé de tout un dangereux viticulteur de la Marne et de l’intégralité de sa femme. Et les faits qui sont reprochés à cette bande criminelle sont particulièrement graves et répugnants : le tribunal correctionnel de Meaux a reconnu ce vigneron de 60 ans coupable d’avoir fouillé des terrains privés, certes avec l’autorisation des propriétaires, mais sans celle, impérative, officielle, indépassable et indispensable de l’État, puis d’y avoir trouvé des choses, puis d’en avoir pris possession et, pour certaines, de les avoir vendues contre de fortes sommes à deux ou trois zéros. L’amende douanière, aussi logique qu’implacable et minutieusement calculée, s’établit donc à 197.235 euros précisément pour ces abominables vols d’objets archéologiques.
Pour faire bonne mesure, cette sanction est assortie d’une peine de six mois d’emprisonnement avec sursis. Quant à son épouse, au départ poursuivie pour recel, elle a droit à une amende de 3500 euros pour complicité, ce qui lui fera réfléchir à deux fois à son mariage, tiens. S’ils avaient eu un fils, un chien et un canari qui passaient par là, soyez sûrs qu’ils auraient aussi pris cher. On ne défie pas ainsi la puissance de l’État sur son patrimoine archéologique sans se retrouver, un beau matin, avec les deux rotules pétées et deux ou trois doigts sectionnés. Notez que ce n’est rien de personnel, mais business is business et si l’État laisse faire, rapidement, la pratique de la prospection va s’installer et on risque de voir 45.000 personnes la pratiquer tous les ans. Ce serait horrible, comme de voir des châteaux ou des églises tomber en ruine.
Eh oui, on ne badine pas avec le patrimoine français, d’autant qu’ici, la volonté de nuire était évidente : le viticulteur — quel salaud ! — faisait ses recherches méthodiquement, précisément là où les archéologues et autres chercheurs dûment accrédités ne vont pas. Il profitait — quel fourbe ! — de l’expérience acquise auprès de son grand-père, probablement une autre pointure mafieuse dans le blanchiment d’argent et le trafic d’antiquités, et notre horrible individu s’était constitué — quel goujat ! — avec l’aide ancestrale et au cours des années, un véritable petit musée de plusieurs milliers de pièces diverses et variées qui n’auraient jamais été découvertes s’il n’avait pas pris la peine de sombrer dans sa coupable passion archéologique.
Heureusement, et pour peu que l’appel, interjeté par ce filou, n’aboutisse pas, cet archéologue amateur est à présent ruiné. C’est bien fait ! Depuis quand la République peut-elle ainsi tolérer que des gens exhument son passé, s’en emparent, l’entretiennent et le fassent vivre ? On commence comme ça et bientôt, on en vient à parler des racines celtiques, gallo-romaines, voire, pire que tout, chrétiennes de la France et là, c’est la porte ouverte aux heures les plus sombres de notre histoire ! Il était temps d’agir et grâce au remarquable travail de la douane qui a ainsi saisi quelques poignées de pièces anciennes, la France est maintenant un pays un peu plus sûr, un peu plus policé, un peu plus régulé.
C’est vraiment trop cool.
Et puis, savoir qu’il est formellement interdit d’aller, avec la seule permission des propriétaires, fouiller un terrain privé pour y trouver, éventuellement, une poignée de débris millénaires dont la large abondance enlève toute valeur réelle autre qu’historique, c’est indispensable. Là encore, on peut se demander depuis quand la République autoriserait-elle ainsi deux adultes consentants à contracter ensemble, sans y mettre un frein et des bornes strictes ? Laisser faire une telle chose, c’est s’assurer que le patrimoine sera exhumé par des gens qui y trouvent un intérêt, qui l’entretiennent sans limite, passion oblige. Ce serait le début de musées privés qui, comme chacun sait, sont à la fois impossible et tous pourris par le capitalisme galopant !
Compte-tenu de ces éléments, de Force Reste À La Loi et du principe que l’État C’est Plus Fort Que Toi, il n’y a donc aucune disproportion entre les faits et la sanction si l’on tient compte qu’il s’agit de faire un exemple et de frapper aussi fort que possible pour terroriser les citoyens au casier vierge, aux motivations bénignes et aux occupations sans danger pour autrui.
Depuis plusieurs années, l’État a entrepris d’être fort avec les faibles, et faible avec les forts. En effet, la condamnation appliquée est une amende douanière et ceci n’est pas un hasard : comme dans d’autres cas tout aussi iniques que j’avais précédemment exposés (le cas des bingos de dangereux retraités/mafiosi est symptomatique), la douane joue ici le bras lourdement armé de l’État, et applique encore une fois une totale démesure entre les faits et la sanction (200.000 euros, tout de même). Ceci montre que plus une administration est illégitime, plus elle s’éloigne de l’intérêt des citoyens et se rapproche de celui, très étroit et bien compris, de l’État seul, plus elle sera prête à utiliser un maximum de force pour que sa violence, aussi illégitime soit-elle, ne soit jamais diminuée ni remise en question.
Quel meilleur moyen que celui choisi pour frapper les esprits, les faire paniquer et oublier les questions pourtant essentielles ici : où est la victime, où sont les dégâts ? L’État, celui qui n’a à l’évidence pas les moyens d’assurer les fouilles que des milliers de chercheurs passionnés entreprennent tous les ans ? Les archéologues patentés, diplômés, officiels et autorisés, ceux qui œuvrent sur les sites déclarés, et donc précisément pas ceux concernés par les fouilles de ces passionnés ? Les douaniers, qui ont peut-être besoin, avec ces amendes ridicules, de refaire le plein de la caisse de leur association sportive, en plus de leurs bingos illégaux mais jamais interdits ? Allez savoir.
On peut raisonnablement s’interroger sur la portée des actions de l’État lorsqu’il poursuit ce couple. En effet, en terme de pillage archéologique, ou bien l’État laisse les richesses dormir ou se perdre et n’en a absolument rien à faire (et n’a, de toute façon, absolument pas les moyens pour changer d’attitude), ou bien les récupère, par la force, des mains de ceux qui les ont découvertes, qui les entretiennent, et poursuit ces derniers vigoureusement pour avoir osé imaginer pouvoir faire le travail qui lui est normalement dévolu (mais qu’il s’empresse de ne surtout pas mener à bien). Si pillage il y a eu, c’est bien du fait de l’État, qui fait tout pour mettre la main sur les richesses du pays pour, sous prétexte de les préserver, s’en assurer la jouissance exclusive. Il faut se rendre à l’évidence : le passé appartient officiellement à l’État.
Je ne suis pas sûr que ce soit bon signe.
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