Alors que les films de Luc Besson se faisaient étriller par nos confrères, nous avons souvent pris son parti seuls contre tous. Nous avions trouvé sympathique son adaptation des aventures d’Adèle Blanc-sec, même si elle était évidemment bien en-deçà des BD de Tardi, et nous n’avions pas trouvé son adaptation de Malavita si exécrable que cela, malgré une certaine paresse dans la mise en scène.
Mais là, désolés, on ne peut plus défendre l’indéfendable. Lucy, son nouveau long-métrage, s’avère assez catastrophique, sur tous les plans.
Le premier problème, c’est qu’à la différence des deux films précités, il ne s’agit plus d’une adaptation d’une oeuvre existante mais d’un scénario entièrement original. Or Luc Besson, même s’il est persuadé du contraire, est un très mauvais scénariste. Ce n’est pas nouveau. On a pu le constater dans une bonne douzaine de productions Europacorp de Taxi à Taken, en passant par Le Transporteur ou le récent 3 days to kill. Des oeuvres aux scénarios simplistes, construites selon les mêmes principes narratifs et les mêmes morceaux de bravoure, souvent des courses-poursuites automobiles et des fusillades assourdissantes, dont il avait eu la bonne idée de confier la réalisation à d’autres, préservant ainsi son intégrité artistique.
Ses propres réalisations ne reposaient pas sur des scripts beaucoup mieux écrits, mais au moins, les intrigues étaient un peu plus évoluées et plus intéressantes. A vrai dire, cela aurait pu être le cas de Lucy. Le sujet principal, autour du potentiel inexploité du cerveau humain – l’Homme n’utilise que 10% de ses capacités cérébrales – aurait pu donner un film passionnant. Hélas, Besson en a tiré une sorte de thriller fantastique qui lorgne un peu sur le script de Limitless, de Neil Burger, sans lui arriver à la cheville, pourtant pas bien haute…
Son héroïne, Lucy (Scarlett Johanson) est une fille ordinaire, étudiante à Taipei, qui se retrouve victime d’une mauvaise rencontre. Son nouvel ami, Richard (Pilou Asbaek) la pousse dans les griffes d’un truand, Mr Jang (Choi Min-Sik). Le bonhomme l’utilise alors comme mule pour exporter de manière discrète une nouvelle drogue, conçue pour faire fureur en Europe ou aux Etats-Unis. Mais juste avant le voyage, un homme de main cogne Lucy un peu trop fort, occasionnant une fuite dans le sachet de drogue planqué dans son estomac. La jeune femme aurait dû mourir d’overdose sur le coup, mais la drogue se met à booster ses capacités cérébrales. Suffisamment, déjà, pour lui permettre d’échapper à ses ravisseurs. Puis pour essayer de trouver un moyen de faire quelque chose de cette intelligence supérieure à la moyenne. Elle essaie de rejoindre le professeur Norman (Morgan Freeman), un scientifique qui essaie de comprendre ce qui se passerait si l’Homme utilisait 20, 40 ou 60% de ses capacités cérébrales. Mais le méchant Jang est à ses trousses, décidé à récupérer sa drogue et à calmer ses nerfs sur sa jolie petite frimousse… Et manifestement, même en étant trois fois plus intelligente que lui, elle n’arrive pas à le semer…
D’où courses-poursuites en bagnole, fusillades sanglantes et autres scènes d’action frelatées… cf plus haut. Du script bessonien de base, du niveau des séries B produite par Europacorp, voire même un peu plus stupide, si l’on en juge la scène grotesque dans l’avion où Lucy, en manque de drogue, voit son visage se dégonfler comme un ballon de baudruche.
Bon, après tout, pourquoi pas… Si Besson, frustré d’avoir laissé d’autres réalisateurs jouer avec ses textes, a décidé de s’amuser en réalisant à son tour une série B décomplexée, c’est son droit.
Mais, et c’est le second problème majeur du film, on a la désagréable impression que le cinéaste a abordé le film au premier degré, comme s’il avait voulu réaliser son chef d’oeuvre impérissable. Entre deux scènes d’action crétines où l’héroïne se retrouve dotée de super-pouvoirs à faire pâlir de jalousie tous les X-Men réunis, il met en place un pensum métaphysique ridicule sur le sens de la vie, qui culminera avec la rencontre de Lucy/Scarlett et Lucy, l’Australopithèque, avant le retour au Big Bang…
Besson se croit aussi très malin en alternant les scènes de son film avec des images documentaires censées appuyer son propos. Il commence par un montage alternant images documentaires d’un guépard chassant une antilope avec celles des gangsters taïwanais fondant sur la pauvre héroïne. Une allégorie bien lourde… Puis il repompe complètement des images du Samsara de Ron Fricke, sans jamais en atteindre la grâce. Jusqu’à ce final très moche et très naïf qui entend évoquer 2001, l’Odyssée de l’espace et Tree of Life, en souffrant fortement de la comparaison…
Troisième problème, et non des moindres, la réalisation n’est pas à la hauteur. Or jusqu’à présent, ce qui sauvait le cinéaste, c’était son talent de metteur en scène, son habileté à construire des plans spectaculaires, à prendre des risques pour proposer des mouvements de caméra innovants. Apparemment, ce temps-là est révolu. Désormais, Besson filme à l’économie, sans se fouler. La mise en scène est plan-plan, les mouvements de caméra sont ultra-classiques, les cadrages paresseux, l’image est laide… Il se contente de regarder ses stars évoluer devant ses caméras. C’était déjà le cas dans Malavita, et c’est encore le cas ici, en pire. Certes Scarlett Johansson est bien agréable à regarder, mais il est triste de la voir se débattre seule pour sauver un film qui n’en vaut pas la peine.
On a tout autant de chagrin de voir d’excellents acteurs comme Choi Min-Sik et Morgan Freeman compromis dans cet infâme nanar, indigne de leur filmographie et indigne de celle du réalisateur.
De deux choses l’une. Soit Luc Besson se moque de nous, assumant désormais sans vergogne un statut de metteur en scène/producteur oeuvrant exclusivement pour un succès éclair au box-office, et c’est détestable. Soit il croit dur comme fer avoir réalisé un très grand film, ce qui est encore plus grave, car sur ce film-là, il n’utilise pas plus de 1% de son talent de cinéaste. Le comble, c’est que vu la période de sortie, l’absence de concurrent de poids et la grosse artillerie promotionnelle accompagnant le film, il risque de cartonner au box-office et cautionner la mise en chantier d’autres oeuvres aussi gratinées.
Luc Besson aurait mieux fait d’arrêter sa carrière après son dixième long-métrage, comme il l’avait promis. Au train où il va, à chercher à atteindre le zéro parfait de ses capacités artistiques, il va finir par être lâché par tous les cinéphiles qui lui accordaient un tant soit peu de crédit…
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Lucy
Lucy
Réalisateur : Luc Besson
Avec : Scarlett Johansson, Choi Min-Sik, Morgan Freeman, Amr Waked, Pilou Asbaek, Analeigh Tipton
Genre : ne requiert pas plus de 1% de capacité cérébrale
Origine : France
Durée : 1h29
Date de sortie France : 06/08/2014
Note : ●○○○○○
Contrepoint critique : A voir à lire
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