Collection Du monde entier, Gallimard (2014)
Traduction de France Camus-Pichon
L’intrigue se déroule à Londres, dans les années 1970. Serena Frome vient de terminer des études de mathématiques, qu’elle a suivies sans enthousiasme, pour faire plaisir à sa mère. Elle, sa passion, c’est la lecture, la littérature. Elle fait la connaissance de Tony Canning, professeur à Cambridge, qui devient son amant. Pendant quelques mois, celui-ci assume son rôle de mentor auprès de Serena, décidé à parfaire son éducation et l’encourage à poser sa candidature au MI5, les services secrets britanniques.
Après un été de bonheur, leur relation se termine brutalement, à l’initiative de Tony. Serena est très affectée par la rupture, mais son embauche au sein du MI5 lui permet de se ressaisir. Les premiers mois ne sont pas passionnants, Serena est vraiment au bas de l’échelle dans l’organisation.
Et puis, une mission lui est confiée. Il s’agit de « recruter » un jeune auteur, de financer l’écriture de son premier roman et de l’influencer afin qu’il mette en avant les avantages de la société capitaliste occidentale face à la menace que représente l’Union Soviétique. Bien sûr, le jeune prodige ne doit jamais savoir d’où lui viennent ses subsides, ni connaitre le véritable rôle de Serena. La jeune fille, qui a été emballée à la lecture des nouvelles écrites par Tom Haley, le recommande à ses supérieurs et n’a aucun mal à lui faire accepter l’offre de subvention de ce qu’il croit être une fondation.
Serena prend sa mission très au sérieux, trop même, puisqu’elle tombe rapidement amoureuse de son auteur. La voilà donc prise au piège de ses dissimulations, puisqu’elle cache au MI5 la nature de ses relations avec Tom et qu’elle tait à celui-ci son activité réelle. Sa situation se complique très rapidement et elle va découvrir que la création littéraire n’obéit pas à la contrainte.
En début d’année, j’avais pris la résolution de diversifier l’univers de mes lectures. Les premiers commentaires lus à propos de la sortie d’Opération Sweet Tooth de Ian McEwan m’ont incitée à choisir ce livre, pour attaquer le genre roman d’espionnage. J’ai été ravie de mon choix, même si je dois reconnaître qu’il s’agit plutôt d’une parodie du genre, et que ce qui en émerge, c’est l’amour, l’amour de la lecture, de la littérature, et l’amour d’une toute jeune femme pour deux hommes très différents, qui vont façonner son existence et décider de son destin.
C’est aussi une découverte de ce qu’est la création littéraire, le cheminement de l’auteur, l’utilisation de sa vie personnelle comme source d’inspiration, l’exercice de sa liberté et de son intégrité.
Et puis, avec ce roman, c’est une immersion dans la Grande-Bretagne des années 1970, encore engluée dans le conflit irlandais et qui doit faire face aux conséquences des grandes grèves des mineurs, qui paralysent l’économie du pays et contraignent la population à réduire drastiquement la consommation d’énergie. Face à ces difficultés de la vie quotidienne, les manigances des services secrets pour entretenir les rouages de la guerre froide paraissent bien futiles.
Une vraie réussite que ce roman d’Ian McEwan, auteur que je découvre à l’occasion de cette lecture.
Un extrait (page 49)
En allant au travail, je méditais sur l’abîme entre la description de mon poste et la réalité. Je pouvais toujours me dire à moi-même — faute de pouvoir le révéler à quiconque — que j’appartenais au MI5. Ça sonnait bien. Aujourd’hui encore, je m’émeus à la pensée de cette pâle petite jeune femme qui voulait se dévouer pour son pays. Je n’étais toutefois qu’une secrétaire en minijupe parmi tant d’autres, ces milliers d’entre nous qui se déversaient dans les couloirs crasseux de la station de métro Green Park, où les détritus, la poussière et les courants d’air pestilentiels que nous acceptions comme notre lot quotidien nous giflaient le visage et nous décoiffaient. (Londres est tellement plus propre, désormais.) Et lorsque j’arrivais au bureau, je restais une secrétaire qui tapait, le dos bien droit, sur une Remington gigantesque dans une salle enfumée, pareille à des centaines de milliers d’autres dans toute la capitale, qui allait chercher des dossiers, déchiffrait des écritures masculines, revenait en courant de sa pause déjeuner. J’étais même moins bien payée que la plupart d’entre elles. Et, à l’image de cette jeune ouvrière dans un poème de Betjeman que Tony m’avait lu un jour, je lavais moi aussi mes dessous dans le lavabo de ma chambre.Retrouvez de nombreux avis sur Babelio.