Luc Besson, prolifique réalisateur français, parmi les plus Américains de l’hexagone, réalise cette année son seizième long-métrage, Lucy. À la suite de Nikita, du Cinquième élément, de Jeanne d’Arc, et plus récemment de The Lady, Luc Besson met à nouveau au cœur de sa création, une femme forte à la tendance sacrificielle. Lucy est un condensé de ce qui rend Besson à la fois génial et abscons, ne laissant jamais ni le spectateur ni les critiques indifférents.
Lucy (Scarlett Johansson) est une jeune femme à l’allure écervelée, traînant avec des pauvres types, et vivant à Taipei. L’un d’entre eux, Richard (Johan Philip Pilou Asbæk), l’embarque dans un nid de vipères en lui demandant de remettre une malette à la mafia taïwanaise.Utilisée comme mule par Kang (Choi Min-sik, le héros de Old Boy, sous-exploité), elle développe des capacités cérébrales exceptionnelles après que le sachet de drogue se soit percé dans son intestin. Elle va prendre contact avec un neurologiste réputé, le professeur Norman (Morgan Freeman).
Lucy (Scarlett Johansson)
Lucy reprend tout ce que l’on peut apprécier chez Besson le réalisateur : un personnage fort, un brin marginal, de l’action très eighties, et une touche de fantastique ou de science-fiction. Mais Lucy reprend aussi tout ce que l’on peut détester chez Besson le producteur : un formatage du produit rendant peu à peu son œuvre terriblement linéaire, et une certaine complaisance à vendre du temps de cerveau disponible sous un vernis culturel. C’est sûrement le problème principal de Luc Besson qui n’arrive pas à allier cinéphilie décomplexée à la Tarantino et aspiration métaphysique à la Kubrick sans que cela sonne un tantinet faux. Il faut avouer que c’est ce qui rendait Le cinquième élément aussi réussi que risible. Du point de vue de l’action, Lucy ne déçoit pas, c’est rythmé. C’est même fun si j’ose dire. Les scènes de baston désamorcées par la nature même des pouvoirs de Lucy sont compensées par les fusillades avec la police et les courses-poursuites en plein cœur de Paris. À ce propos, pour quelqu’un qui a une si grande conscience de son milieu, Lucy provoque beaucoup trop d’accidents.
Professeur Norman (Morgan Freeman)
A contrario, Lucy se présente, avec des gros sabots quand même, comme un film à message. Le nom de l’héroïne lui-même est un très gros parallèle avec Lucy, l’Australopithecus Afarensis découverte en Éthiopie en 1974, et longtemps considérée comme la doyenne de l’humanité, bien que la communauté scientifique penche désormais pour un cousinage avec Homo Sapiens. Le film alterne constamment entre l’aventure sur-armée vécue par Lucy, et des images de l’infiniment petit et de l’infiniment grand, ou évoquant l’évolution darwinienne. Le bât blesse lorsque la voix-off explique carrément les images, comme si Besson ne s’attendait pas que son public puisse être celui qui va voir les films de Terrence Malick. Même d’une beauté subjuguante, ces images contrastent tellement avec l’action du film quelle en viennent à se doter d’un aspect artificiel. Comme si, condescendant, Besson prenait l’auditeur par la main pour lui faire comprendre le sens de la vie comme Pernaut veut nous inculquer ce qu’est la France. La vulgarisation scientifique n’a jamais été poussée aussi loin. Peut-être trop loin. Peut-être aurait-il fallu, pour que Lucy soit émouvant que le film cherche à parler davantage au cœur des hommes qu’à leur intellect. Ici, on dézingue à tout va, mais on ne fait qu’effleurer les notions d’accomplissement et d’amour. Tout le savoir nécessaire à l’humanité est contenu dans une clé usb. Peut-on changer le monde uniquement avec le savoir factuel? Lucy perd toutes ses émotions au fur et à mesure que son intellect s’accroît. Doit-on nécessairement perdre notre humanité en développant nos facultés ? Balançant des pistes sans jamais les développer, Lucy enfonce des portes ouvertes pour finir sur un climax convenu.
Kang (Choi Min-sik
Il y a de multiples écoles en ce qui concernent la manière de donner du sens à la vie au cinéma. Deux grands courants s’opposent, ceux qui cherchent des explications universalistes et qui nous dépassent : Kubrick dans 2001, l’odyssée de l’espace ou Malick dans The tree of life par exemple et ceux qui voient dans les petits gestes de la vie humaine, les preuves les plus profondes de son inextricable beauté tels Linklater dans le récent Boyhood ou Payne dans Nebraska. Lucy a beau avoir les mêmes ambitions, ce n’est de ce point de vue qu’une coquille vide. Il reste un bon divertissement.
Boeringer Rémy
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