Je dis souvent que j’emprunte des routes désertes chaque matin pour aller au travail. C’est faux.
Il y a le chien qui fait sa première sortie du matin, quand les matous se décident à rentrer récupérer de leur nuit de vadrouille. Il y a le lièvre surpris qui détale à perdre haleine. Les vaches lèvent un œil (bovin, évidemment) et retournent à leur rumination. Après le carrefour, Maître Goupil veille sur son domaine. S’il savait que quelques kilomètres plus tôt, j’ai effrayé un faisan de toute beauté. Il daigne s’ôter de ma route, pas trop vite, c’est le maître des lieux. Son cousin, quelques centaines de mètres plus loin, est plus véloce : il traverse la route ventre à terre, a-t-il comme moi aperçu le lapin blanc se faufiler entre les tiges de blé coupé ?
Je tourne à droite, en direction de la rivière. Dans le champ humide, deux hérons cendrés font la causette. Je longe l’eau, les familles de canards se succèdent, les cygnes se font des signes (forcément), les oies cancanent, sans doute la trouvent-elles fraîche ce matin. Je remonte, traverse la forêt, prête à sauter à pieds joints sur le frein si d’aventure une biche trouvait l’herbe plus verte de l’autre côté, mais pas ce matin, pour une fois. Dans le pré à droite, le troupeau de poneys haflinger dort encore, tête-bêche et queues rythmées comme des pendules.
La ville, enfin, et ses drôles d’animaux en costume, ses bécasses perchées sur talons-aiguilles.