Notes au féminin

Par Gentlemanw

Premier concert officiel, le lieu plutôt confidentiel, une petite salle, en réalité l'arrière-salle d'un restaurant, une scène restreinte, un parquet qui craque, je suis venue m'inprégner des dimensions, de l'âme.

Tant de fois, jeune, adolescente, je me suis glissée entre les chaises, pour voir un jeune chanteur, une soliste, des groupes de tous les styles. A l'époque, le bar, le restaurant de province, sa version pour les familles et les vrp, je laissais mon père avec ses potes, moi je voulais voir cette scène ouverte, ces gens qui poussaient les mots, hurlaient, s'essayaient à la chanson française, aux classiques de la pop anglaise, usaient leurs vocalises pour convaincre des chaises vides. Mais il y avait les instants magiques, la salle comble, les gens debout, la belle chanteuse qui perçait les coeurs présents de slows langoureux, de douceur dans ses variantes d'octaves parfaites. Tout changeait, le lieu prenait une autre dimension, cela devenait le zénith local, immense, avec des visages heureux, des baisers ici et là, des larmes parfois, une émotion collective.

Je suis revenue quand certains après-midis, le thé remplaçait les boissons gazeuses, la fille du propriétaire souhaitant mettre de la musique classique et d'autres flonflons du siècle dernier sur les planches. Le public eétait différent, consommait autant, les applaudissements suivant les sonates au piano, les cantatrices de la région, les jeunes surdoués de l'école de musique. A la fin, traditionnellement, une quête pour l'artiste, non pour la patronne, avec aussi le don partiel à une association locale. Tout était naturellement rodé, le soir, les petits groupes rock ou de musique nouvelle, new wave, techno, hard rock, reprenaient possession des lieux. C'était le cocktail pétillant de la perpétuelle nouveauté.

Ce soir, ce sera moi, dans quelques minutes, du jazz vocal, des cuivres, des potes, et cette salle, de l'autre côté, derrière le micro. Emue, déjà heureuse et pleine de trac, je vois les murs différemment, je suis fier de la confiance donnée par la propriétaire. Quinze minutes d'audition un matin, à froid, crispée, et puis en larmes, c'était il y a un mois, une grande marche dans ma passion. Je suis fleuriste depuis quelques années, je n'avais osé lui dire, et pourtant elle me connais depuis toujours, un hasard, un refrain repris à une soirée karaoké, des amis enthousiastes qui lui parle de moi, de celle qui se cache pour chanter. Notes et belles fleurs, elle a cru en moi. Car elle adore le jazz tout particulièrement, elle n'a pas lâché.

Ce soir, je devrais tout donner, non pour conquérir le monde, mais juste la salle, au mieux la place du village, avec des sourires. La grande Ella sera avec moi, ces morceaux si forts, mon coeur qui battait si intensément, je l'ai encore en moi, là dans cette pièce entre débarras et loge. Assise sur un pack d'eau, je n'entends plus mes comparses qui préparent leurs cuivres. Leurs paroles deviennent sourdes, je suis concentrée, trente minutes à chanter, à me donner à ce public, d'ailleurs sera-t-il là. Le bouche-à-oreille remplira-t-il les bancs, les chaises ?

Pour me rassurer, j'ai enfilé une robe néo-rétro, un peu sixties, un rappel, un hommage à Ella, une corolle bleu marine, avec des plumetis, des talons, des gants longs, une écharpe souple en soie, je suis prête. je suis derrière le rideau.

Dernière inspiration.


Nylonement