Affiche du film Le Schpountz (1938)
Ah, Marcel Pagnol ! En prononçant ce nom, on croit déjà entendre grésiller les cigales et glouglouter le pastis dans un café du vieux port. On croit tout savoir de ce fleuron de la provençalité (la provençalitude ?), ce héraut de l’assent, ce troubadour des collines, tout ça parce qu’on a lu La Gloire de mon père et Le Château de ma mère quand on était petite (et vu le très beau film qui en a été tiré dans les années 1990 avec les sublimes mélodies de Vladimir Cosma, surtout celle-là), vu La Femme du boulanger en noir et blanc et ri de "Pomponnette", et pleuré devant la tragédie à la grecque de Marius et Fanny (dans l’avion – sic – en regardant coup sur coup les deux récents films réalisés par Daniel Auteuil, qui sont pas mal du tout ma foi – et Dieu sait que j’ai du mal avec cet acteur).
Mais a-t-on vraiment lu et compris Pagnol ? Question snob qui fait très magazine littéraire intello-prout-prout, je sais, mais je profite du fait d’avoir récupéré gratuitement un stock de titres de Pagnol (don d’une collègue dans un lycée sinistre il y a trois ans) pour parfaire ma connaissance de celui qu’on range facilement dans la bonne vieille catégorie de la culture populaire et du folklore régional.
Et avant d’aborder les oeuvres immortelles, Jean de Florette et compagnie, je veux parler d’un scénario de film écrit sous forme de pièce de théâtre, lu en deux heures, et dont le rôle principal est destiné tout exprès à Fernandel (on y évoque même ses longues dents !). Il s’agit du Schpountz.
Qu’est-ce qu’un Schpountz ? Tout le comique de la pièce repose sur ce terme inventé pour correspondre à une certaine catégorie d’individus parfaitement sains d’esprit mais qui perdent les pédales dès qu’on aborde le sujet du cinéma car ils se croient destinés à une brillante carrière d’acteurs quand ils en sont en réalité très éloignés. Le prototype du genre c’est Irénée Fabre, le (anti-) héros de la pièce, jeune gandin bon à rien et imbu de "son don". Mais à part repousser les attaques ironiques de son oncle épicier dans un village de la banlieue de Marseille aux crochets duquel il vit, il n’a encore rien fait de sa vie, encore moins cherché à obtenir la gloire au cinéma car d’après lui, elle est censée lui arriver toute cuite dans le bec. Et c’est bien ce qui va arriver, quand il croise par hasard les joyeux drilles d’une équipe de tournage d’un film… mais non sans de nombreux quiproquos, gags, rebondissements, coups de théâtre, et sous les traits du comique de farce plus que sous ceux du jeune premier que le pauvre Irénée avait imaginé.
Ce qui est très plaisant dans cette pièce-scénario, même lue, c’est la description du milieu du cinéma des années 1930, bien connu de Pagnol le cinéaste, qui en profite pour glisser le nom de ses égéries, Raimu par exemple. Ce qui est plaisant aussi, pour ceux qui l’apprécient, c’est le regard bienveillant que Pagnol porte sur ce petit monde. Chez lui, la lutte des classes a des fleurs dans la barbe : le riche producteur Meyerboom fraternise avec la petite secrétaire et conjure les techniciens de l’inclure dans leurs coups pendables. Les épiciers radins et arnaqueurs ont du coeur et les naïfs sont récompensés de leur naïveté.
Pour finir, je vous livre ces deux répliques qui m’ont frappée par leur vérité :
Françoise : "Alors, tu crois que pour celui qui vous aime, on est toujours belle ?
Astruc : – C’est la même chose, parce que belle, ça veut dire aimée."
Alors d’accord, c’est plein de bons sentiments, mais par les temps qui courent, c’est très plaisant (je me répète, oui oui !).