Winter Sleep (Kış Uykusu, 2014) is the eighth film of Nuri Bilge Ceylan, a director that the French public has noticed a few years ago with Once Upon a Time in Anatolia (2011). Inspired by three new short stories of Chekhov, Winter Sleep unfolding before our eyes the EEG of frustrations of this almost troglodyte village Anatolia. Back to the "crû" of the 2014 Cannes Film Festival.More in English >> (Translation in progress, come bubble later)
© nuri bilge ceylan
Winter Sleep s'intéresse plus particulièrement au personnage d'Aydin (Haluk Bilginer), ancien homme de théâtre devenu essayiste et journaliste dans une revue locale, et qui a ouvert une petite auberge dans cette région hostile d'Anatolie. Non content de faire figure d’intellectuel aux yeux des voyageurs et des habitants du village, Aydin est propriétaire de la grande majorité des maisons alentours, ce qui assoit encore davantage son importance. Cette importance est mise à mal le jour où un gamin du village lance une pierre sur sa voiture, cassant la vitre. Aydin se rend chez le père du gamin et, sous prétexte de vouloir le prévenir du risque de voir son fils tomber dans la délinquance, il réaffirme une fois de plus son joug sur ces villageois maintenus dans une pauvreté chronique. À ce stade de la narration, le spectateur novice croit voir en Aydin un homme bon. N’a-t-il pas ramené le fautif sain et sauf à son père, et sans même hausser le ton ? Et pourtant, la réaction de ce dernier révèle une colère grondante, un désir de mutinerie visant à démolir l’empire hypocrite du grand patron. Dès lors, la rixe anecdotique provoquée par le gamin cache les premières fissures d’une rupture plus profonde.© nuri bilge ceylan
Necla (Demet Akbağ), la sœur d’Aydin, vit avec lui depuis qu’il l’a recueillie après son récent divorce. Alors qu’un soir, il lui fait relire l’une de ses interminables colonnes éditoriales sur la perte des valeurs morales dans nos sociétés modernes, les remarques de Necla se font plus cinglantes. Elle révèle à mots couverts, mais non sans cynisme, ce qu’elle pense de ses écrits, de sa suffisance et de la fausse sainteté de son système moral. Nihal (Melisa Sözen), la jeune femme d’Aydin, lui emboîte le pas : ne voit-il pas que pendant toutes ces années il l’a humiliée, abaissée ? Ne voit-il pas qu’elle a pour lui sacrifié sa jeunesse sans jamais obtenir de lui qu’il la traite comme une égale ?Le moins qu’on puisse dire c’est qu’Aydin est en train de retrouver le sens des réalités d’un grand coup de revers en pleine face. Nuri Bilge Ceylan aurait pu tout simplement nous faire le portrait d’un gentilhomme aux envers de pourriture, que la conjoncture va forcer à une remise en cause. Pourtant le cinéaste refuse d’arrêter son analyse sur un jugement moral définitif, ni de faire « progresser » ses personnages vers un but admirable comme dans une bonne vieille romance hollywoodienne. Et c’est dans cette volonté d’éviter le manichéisme que l’influence de Tchekov se fait sentir. Aydin n’est pas le salaud qu’on croit, Aydin n’est pas l’ange-gardien qu’on croit.
© nuri bilge ceylan
En fait, tous les personnages qui constituent son entourage sont caractérisés par cette dualité. Nihal est une femme de bien, qui donne tout son temps et son énergie à la préservation de la région et de ses habitants. Et pourtant, le jour où elle vient dans la maison du gamin qui avait jeté la première pierre pour donner une grosse somme d’argent à cette famille dans le besoin, le père, celui-là même qui semblait en vouloir tant à Aydin, l’accueille vertement. Cette scène, que je vous laisse découvrir, constitue à mon sens le pivot dramatique du film. S’il ne devait y en avoir qu’une, elle serait LA raison de vous laisser piquer votre place de transat pour aller vous enfermer dans une salle de cinéma en plein mois d’août.© nuri bilge ceylan
Aydin avait pourtant prévenue Nihal : on ne peut pas faire n’importe quoi avec la charité. Nihal pense véritablement agir pour défendre ses convictions, là où son mari se complait dans une prétendue supériorité morale. Et pourtant elle renvoie, à juste titre, l’image d’une bourgeoise dont l’argent sert à s’acheter une bonne conscience.Et c’est ce paradoxe qui rend la dynamique entre Nihal et Aydin particulièrement intéressante. Intime en apparence, elle révèle en creux des enjeux de classe. Nihal étouffe dans la cage doré qu’Aydin lui a conçue. Sa supériorité, financière, sociale, intellectuelle, lui semble nauséabonde. Le combat social qu’elle livre est en réalité un combat contre le dégoût d’elle-même. Dans l’une des scènes de dispute décisives, Aydin lui reproche de n’avoir jamais eu besoin de se battre pour cette supériorité. En qualité d’homme qui s’est fait tout seul, Aydin a une légitimité qu’elle n’aura jamais. L'antipathie de sa femme rend Aydin perplexe : "Peut-on faire d'un homme un dieu, et lui reprocher ensuite de ne pas être ce dieu ?"
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Il comprendra, trop tard, que l'habit de patriarche ne lui a jamais sied tant que ça : tout au plus, il lui a valu la haine de ses proches et la soumission fébrile des habitants du village. Peut-on pour autant lui en vouloir d'avoir voulu servir de berger aux brebis égarées ? Co-écrit avec sa femme Ebru Ceylan, ce dernier opus du réalisateur turc nous parle admirablement bien des contradictions morales qui guident nos vies à travers le microcosme d'une famille aux failles multiples.
Marine J.
Site officiel : http://distribution.memento-films.com/film/infos/61