Je vais cette fois présenter deux kama-iri cha de Ureshino, dans le département de Saga. Ureshino renvoie parfois une image très forte de kama-iri cha mais en réalité la production est aujourd'hui devenue relativement confidentielle, et les département de Miyazaki (prochaine article) et de Kumamoto (article précédent) sont de plus importants producteurs. La spécialité de Ureshino c'est en fait aujourd'hui le tamaryokucha étuvé. En effet, M. Ôta, le producteur de nos deux kama-iri du jour est en fait d'abord un producteur de tamaryokucha. Il vient tout juste, depuis deux ans de se mettre à la production de kama-iri cha, pour élargir ses horizons avec ses nombreux cultivars, mais aussi pour renouer avec les racines de cette ancienne région productrice de thé, par où sont passés les moines de retour de voyage en Chine, rapportant des graines de théiers. Ceci dit, depuis son plus jeune âge il a eu nombres d'occasions d 'étudier la fabrication du kama-iri cha. Aussi, M. Ôta travaille à petite échelle, sans pesticide et avec des engrais bio. Ses plantations se trouvent entre 150m et 500m d'altitude.
Le premier de ces thés est un cultivar Fuji-kaori. Il s'agit (comme Sôfû ou Kondô-wase) d'un croisement entre Inzatsu 131 et Yabukita. C'est donc une variété avec ¼ de sang indien. Ce Fuji-kaori (qui est né à Fujieda, à Shizuoka) est connu pour son parfum tout à fait exceptionnel.
Après infusion, à 80°C environ, que ce soit dans la tasse, ou plus encore dans la théière, ce thé exhale un puissant et doux parfum de fleur. J'ai l'habitude de parler de « parfum floral », mais avec ce Fuji-kaori c'est bien un parfum de fleur, qui rappelle fortement le jasmin. C'est vraiment agréable, presque enivrant, à peine croyable que nous ayons à faire à un thé japonais, qui de plus, reste un thé japonais, sans chercher de rapprochement ailleurs.En bouche, c'est tout de suite ces arômes de fleurs qui entrent en jeu, de façon d'abord presque inquiétante, on s'attend alors à quelque chose d’écœurant, et puis non, tout s'harmonise, la liqueur est légère et rafraîchissante, comme un vrai bon kama-iri chajaponais. Pas d'astringence, ni d'umami à outrance par ailleurs, c'est un thé qui se boit tout seul. Il laisse un arrière goût long mais sans lourdeur, doux. Les retours en gorge de ces saveurs de fleurs ne sont pas outranciers, tout est bien à sa place, comme il faut.
Fuji-kaori semble fait pour se type de vrai kama-iri cha. Il est vrai que ce cultivar et d'autres aussi, sont parfois dans d'autres régions utilisés en kama-iri plus expérimentaux, tendant à se rapprocher (vaguement) de baozhong, avec pour résultat un parfum tonitruant, mais une liqueur souvent lourde et vulgaire. Ici, on reste dans la finesse, avec dans la théière des feuilles chaudes au parfum relaxant.
Le deuxième de ces thé est produit à partir des théiers d'une plantation de variétés botaniques (« zairai-shu », reproduit par graine). Mais il ne s'agit pas de n'importe quels théiers « zairai », ils sont issus de graines elles-mêmes issues du Grand Théier vieux de plus de 300 ans planté par Yoshimura Shinbei sur le mont Fudô, considéré comme l'origine du thé actuel de Ureshino. Bon, cela ne donne rien sur la qualité du thé lui-même, mais c'est une anecdote intéressante.
(Par ailleurs, en 1191, sur la route de son retour de Chine et avant de planté du thé à Kyôto et d'y transmettre la fabrication du matcha , le moine Eisai, aurait aussi planté des graines de thé à Hirato (Nagasaki), ouvrant ainsi la première plantation de thé du Japon, puis sur le Mont Sefuri à la frontière des actuels départements de Saga et de Fukuoka)
Cette fois encore, infusion à 80°C. Le parfum est moins surprenant que celui de Fuji-kaori. Il est cependant profond, avec du volume. Il se présente comme sur une sorte de texture cendrée, sur laquelle se développent des arômes légèrement floraux et crémeux.La liqueur aussi possède du corps. Je dirais même qu'elle a plus de corps que celle de Fuji-kaori, tout en restant légère et fraîche. Elle fait circuler en bouche, dans la gorge, ses saveurs douces, crémeuses et florales. La longueur est au rendez-vous, un très bon équilibre, ce thé apporte beaucoup de plaisir. J'ai l'impression que ce kama-iri a gagné beaucoup en densité et en complexité depuis la saison du shincha où il semblé un peu timide encore. Là encore, sans avoir un kama-iri cha « modèle du genre », car ce thé possède sa personnalité, nous avons bien un kama-iricha japonais, authentique, qui, il me semble, fait honneur à la vieille tradition du kama-iri à Kyûshû. Merci à M. Ôta pour les photos des plantations. Voici donc en vrac quelques images de son domaine: