Mon aversion pour le sport est non seulement d’ordre politique et idéologique, mais encore d’ordre esthétique.
Je trouve que tout est laid dans le sport : les endroits organisés où il est pratiqué (stades, salles de gymnastique), les vêtements, les chaussures, le matériel, le corps harnaché, sanglé, moulé dans ce qui n’est ni plus ni moins que des uniformes, les sons (cris, coups de sifflets, clameurs, hurlements, vociférations).
Ce qu’on appelle pompeusement « l’esthétique du sport » relève en réalité d’un authentique fétichisme de la trivialité. Cette trivialité apparaît souvent dans la littérature sportive, notamment dans le livre d’Haruki Murakami, Autoportrait de l’auteur en coureur de fond (éd. 10/18).
J’y pensais l’autre jour en voiture en attendant qu’un troupeau de cyclistes consente à me laisser un peu d’espace sur la route pour le dépasser. On y distinguait à peine les hommes des femmes, casqués, le visage barré de lunettes noires, tous les corps étant boudinés dans ces horribles combinaisons avec un renforcement ridicule (en forme de cœur !) sur les fesses.
Que reste-t-il comme sensations à un cycliste ainsi enfermé dans son armure de polyester ? Certainement pas la brise d’été sur la peau et encore moins l’émotion du paysage, non, les seules ivresses, les seules qui restent, les seules qui comptent, ce sont la vitesse, le temps chronométré et la quête frénétique du mouvement pour le mouvement.
On a ici affaire à l’obsession de s’oublier, de ne plus penser, à une volonté de dispersion de soi-même dans l’effort qu’on produit. Une des nombreuses et banales variantes de la pulsion de mort, pierre angulaire des activités sportives et militaires régies par les mêmes prétendues «valeurs».