Sorti sur les écrans à la fin du mois de juillet, Boyhood est la dernière œuvre du cinéaste Richard Linklater. Après avoir suivi deux personnages sur près de 15 ans, au travers de trois films (Before Sunset, Before Sunrise, Before Midnight), Linklater nous propose ici un film unique, basée sur une idée originale. Ours d’Argent du meilleur réalisateur à dernière Berlinale.
L’actualité cinématographique nous offre de belles surprises, de grandes déceptions, de magnifiques découvertes et des purges sans nom, mais rares sont les occasions d’y voir un cinéma profondément original, intrinsèquement novateur et sans réel précédent. L’idée de génie de Linklater pour Boyhood a été de proposer à 4 acteurs d’être filmés quelques jours par an pendant 12 ans (de 2002 à 2014), et d’utiliser la matière ainsi récoltée pour monter une fresque sur l’évolution d’une famille américaine, suivant plus particulièrement le parcours d’un jeune garçon.
La saga de François Truffaut où l’on suivait le jeune Antoine Doinel, les films de Cédric Klapisch mettant en scène les mêmes personnages (de L’Auberge Espagnole à Casse-tête Chinois), ou même la série des Before (déjà de Richard Linklater), sont autant de réflexions sur l’érosion du temps, l’évolution des sentiments au fil des ans. Pourtant, c’est la première fois, ici, qu’il nous est donné la possibilité d’observer l’évolution d’un personnage joué par le même acteur, de ses 6 ans à ses 18ans, en un seul et unique film.
Loin de s’enfermer dans son concept, le réalisateur déborde d’ambition pour donner à cette idée de base son envol et son corps, afin d’en faire un film de cinéma et une histoire universelle, tirant ainsi bénéfice du tournage effectué d’années en années : vieillissement progressif de tous les personnages, évolution des corps, des voix, et des traits de visages, le tout sans maquillage, et collant le plus étroitement possible à la réalité.
La caméra sait être pudiquement en empathie avec ses personnages et cette modestie demeure un des points forts du film. Le ton reste juste, et sait véhiculer le spleen, à la fois bouleversant, alarmant et réjouissant par moment. Richard Linklater nous propose un film doux sur la construction d’un enfant, le passage à l’âge adulte, et les 1001 tracas identitaires qui animent la période cruciale de l’adolescence. Si les personnages sont tous subtilement sculptés, notre cœur va plus précisément au duo formé par le jeune et doué Ellar Coltrane et l’impeccable Ethan Hawk, respectivement fils et père. La complicité père-fils qui les unis est souvent drôle, parfois touchante, toujours juste.
Mais si le film regorge de tendresse lorsqu’il dépeint ses personnages, il pose en revanche un regard pour le moins dur et alarmant sur l’Amérique. Il pèse encore sur ce portrait de la famille contemporaine américaine le poids des normes, du conservatisme, du nationalisme (et accessoirement de l’alcool).
Sorti dans le relatif anonymat de l’été (seuls les cinéphiles auront écho de cette découverte), cette oeuvre unique et singulière aurait pourtant mérité une large distribution. Si vous hésitez encore, ne vous retenez plus.