Au XVIème siècle, Iseppo Pasini, un avocat de la Curie Ducale avait accumulé des richesses inouïes grâce à diverses escroqueries et arnaques, dont étaient victimes de pauvres gens. Dans le même temps, il proclamait quotidiennement sa ferveur pour la Madonne, et fréquentait le couvent des frères Capucins, auxquels il ne manquait pas de faire de larges dons.
C’est d’ailleurs au Padre Matteo da Bascio, grand réformateur de l’Ordre Franciscain, que cette histoire est parvenue jusqu’à nous.
Nous retrouvons ce témoignage rapporté dans les Annali dei Cappuccini par le Padre Boverio, sur un témoignage du Padre Matteo, peu avant sa mort survenue le 6 Août 1552. Matteo da Bascio a été enterré dans l’église de San Moisè , mais plus tard, son corps a été transféré dans l’église de San Francesco della Vigna suite à un arrêté du Nonce apostolique Lodovico Bacatello, il repose depuis dans le vestibule où il se trouve aujourd’hui sa tombe.
Un jour, le Padre Matteo fit en sorte de se faire inviter par l’avocat.
"Un simple repas, en toute simplicité, cher avocat… juste pour faire quelques palabres avec un homme épris de Dieu, un bienfaiteur de notre couvent…"
Le Padre Matteo su se faire si insistant, que l’avocat, mi honoré, mi apeuré, ne peut que répondre immédiatement en acceptant la requête.
A l’heure convenue, le Padre Matteo se fit ouvrir les porte de la belle demeure de l’avocat. Il admira, bouche bée, toutes les belles richesses accumulées, ce beau mobilier, les tableaux et les objets d’art. Quand il sentit la présence d’un singe.
Oui, un singe !
Le serviteur expliqua aussitôt que le singe était très intelligent et aidait volontiers le gent domestique. Le Padre Matteo voulut s’approcher du singe, mais ce dernier s’enfuit, grimpant à toute vitesse les marches de l’escalier, et se cachant sous un lit.
Le Padre Matteo était un homme qui avait connu le monde, et il se doutait bien que le malin se cachait dans ce singe, il s’assit donc sur le lit, et dit "Révèles-toi tel que tu es, singe !"
Et, de dessous le lit, une voix stridente s’éleva : "Je suis le Démon et je suis venu dans cette maison pour prendre l’âme de cet avocat. Il me le doit bien, après avoir accumulé toutes ces richesses volées."
"Et pourquoi ne l’as-tu pas encore emporté en enfer avec toi ?" demanda le Padre Matteo.
Après un long silence, la voix sortit à nouveau de dessous le lit : "Parce que cet homme prie la Sainte Vierge chaque jour et recommande son âme à Dieu. Si il prie, je ne peux prendre son âme. Mais il suffira qu’un seul jour il oublie, seulement une seule fois… alors, il sera à moi et je l’emmènerai brûler dans les flammes."
Entre-temps l’avocat était arrivé, prêt à commencer le repas sans dire une parole, sous le lit, le malin semblait plein d’espérance.
Le Padre Matteo joignit ses main, rassembla toutes ses forces, puis d’une vois menaçante il cria "Diable, au nom du Seigneur omnipotent et miséricordieux, je t’ordonne de sortir de cette maison !"
Et il resta immobile…
Sous le lit, on sentait un tremblement, et dans un affreux soupir, on entendit "Je ne le peux".
Le vieux capucin en eût les bras qui tombèrent, et regardant ses pieds dit "Et pourquoi donc ?"
Et le singe : "mais parce que je suis le Diable et que je ne peux partir de cette maison sans provoquer quelques dommages".
Alors, le Padre Matteo se tourna vers le mur, le montra au singe et lui ordonna : "Fais quelques dommages, en sortant de la maison fait un trou dans ce mur là, à côté de la fenêtre !"
"Maintennant !"
Personne n’eût le temps de faire quoi que ce soit, ni l’avocat, ni les serviteurs totalement apeurés, ni non plus le Padre Matteo. Tout ce qu’ils virent, c’est soudain un grand trou dans le mur et de la poussière qui retombait partout sur le sol de l’étage.
Se tournant alors vers l’avocat stupéfait devant ce trou béant dans le mur de son palais, le Padre Matteo dit alors "Et bien, et ce repas ?"
L’avocat accompagna alors le père capucin dans la salle à manger était recouverte d’une délicate nappe de lin blanc, et, ensemble ils prononcèrent le bénédicité. Nous ne saurons jamais de quoi ils ont parlé ce soir-là, les serviteurs racontèrent que cela semblait à une discussion entre deux vieux amis, sereins et satisfaits. Mais les serviteurs jurent qu’à la fin du repas, le généreux vin des Colli Euganei s’était transformé en sang dans le verre de l’avocat.
OUI ! En sang !
Alors, le Padre Matteo dit à l’avocat : "Ceci est le sang des malheureux que tu as ruiné, et que tu as sucé durant toute ta vie d’extorsions et de félonies injustes". L’avocat se jeta alors aux pieds du père capucin, pleurant et implorant son pardon.
Puis ils se séparèrent, c’était l’heure pour le capucin de rentrer.
"Et pour le trou dans le mur laissé par le Diable ?" demanda l’avocat qui avait peur que quelque malin ne s’introduise de nouveau dans sa maison par cette brèche béante.
Se tournant alors en direction de la chambre, le Padre Matteo, soudain sentencieux répondit : "A la place du trou, quand tu feras reconstruire le mur, sur la façade extérieure, fait mettre la statue d’un ange, de sorte qu’elle soit visible de tous et effraie les mauvais esprits. Il n’y a rien à faire de plus."
Et il en fut fait ainsi.
L’histoire fut répétée par Paolo Segneri de la Compagnia di Gesù, dans son Il Cristiano istruito nella sua legge et dans le Cod. 481, Classe VII, de la Bibliothèque Marciana sous le titre : Casi Memorabili Veneziani raccolti dal gentiluomo Pietro Gradenigo da S. Giustina.
Dans la chronique de sior Antonio Rioba on lisait déjà :
El ponte no xe dificile da trovàr, vegnindo da la piassa, fata quasi tuta la cale de la canonica, ti giri in ramo va a la canonica, po’ ti traversi la cale larga Samarco e ti entri in cale che va al ponte de l’Anzolo ; in fondo, co’ ti xe rivà sòra el ponte, ti te fermi e ti giri la testa su la destra : de fassa ti vedi Ca’ Soranzo e, in mezo ai do balconi del pian nobile, el capitèlo co’ l’Anzolo.
La storia la gavè zà leta, la moral xe ciara : bisogna sempre star tenti a la bestia che ti far entrar in caxa, e no xe dito che gabia sempre da aver par forsa quatro gambe: xe più le volte che ghe ne basta anca do.
Ocio fioi! Ocio fie!
La maison de cet avocat, chacun de vous peut encore la voir, et découvrir l’ange, sur le mur qui donne sur le canal, au niveau de l’étage noble.
C’est Giuseppe Tassini qui vous donne la clef pour retrouver ce palais dans ses Curiosità Veneziane, Venise, 1886, page 26 vous pouvez lire :
"ANGELO (Calle del Ponte, Ramo Calle del Ponte, Calle e Ponte, Ponte, Fondamenta, Calle al Ponte dell’). Sul prospetto d’una prossima casa, che, malgrado le riduzioni, palesa l’originario stile archiacuto, scorgesi una specie d’altarino di marmo, il quale nella parte superiore ha un dipinto rappresentante la Vergine col Bambino fra due angeli, e nell’inferiore altro angelo sculto in basso rilievo, ritto, coll’ali aperte, in atto di benedire colla destra un globo, decorato dalla croce, da lui tenuto colla sinistra (…).
Giulio Lorenzetti dans Venezia e il suo estuario, Trieste, 1975, page 364 se limite à quelque chose de succinct : PONTE DEL REMEDIO (…) Interessante è la veduta del canale su cui prospettano caratteristiche facciate di case e di palazzi: si noti specialmente Palazzo Soranzo, all’angolo del rio, con ingresso al n. 1449 sul ponte stesso, detto Casa dell’Angelo dall’immagine marmorea di un angelo (scult. del XIV sec.) entro tabernacolo murato sulla facciata: rilievo posto, narrasi, a ricordare la miracolosa scomparsa di uno scimmione, ritenuto incarnazione del demonio, tenuto addomesticato dai Soranzo come servo di casa (…)
Alberto Rizzi, sans s’attarder sur la légende, décrit la sculpture avec précision dans Scultura esterna a Venezia, Venise, 1987, page 232 :
(…) Stemma in edicola (II quarto XIV sec.). Pietra d’Istria e marmi greci, cm. 120 X 180 (rilievo) e cm. 250 x 120 (edicola). Angelo a mezza figura benedicente e reggente orbe crociato (altorilievo) sovrastante due scudi gotici binati entro comparto rettangolare con bordo dentellato. La coeva edicola ha tettuccio a spioventi a spallette decorate ad archetti esternamente centinati ed internamente trilobati. Tracce di policromia probabilmente non originale sull’angelo (mano e ali dorate). Nello spazio tra la cornicetta dentellata esterna del rilievo e la cuspide dell’edicola vi è un affresco trecentesco raffigurante Madonna col Bambino tra angeli (…). Il rilievo (…) ha dato nome ad un vicino ponte, chiamato dell’Angelo, già in un documento del 1502 (…)
Depuis, l’histoire à été reprise sans grands changements par tout ceux qui, à Venise ou ailleurs ont écrit des livres sur Venise et sur ces légendes, Gianni Nosenghi dans Il grande libro dei misteri di Venezia, Alberto Toso Fei, dans Leggende Veneziane e storie di fantasmi…
Nous aurions presque oublié de vous dire, en français, où aller voir cette étonnante sculpture d’un ange en haut de l’étage noble d’un palais !
C’est sur la façade du palazzo Soranzo (dit dell’Anzello, Cannaregio 6099 – calle del Remedio) qui donne sur le rio de Cannonica, et que l’on peut admirer depuis le ponte del Remedio ou du ponte et de la fondamenta de l’Anzolo.
Merci à Stefanie pour avoir traversé tout Venise afin de réaliser ces photos spécialement pour le blog.