Dispositif général © BF Medien GmbH 2014 / Foto: Jörg Schulze
Depuis 2010, le Festival de Bayreuth propose, parallèlement aux représentations dans le Festspielhaus, des représentations pour enfants des opéras de Wagner, entreprise assez lourde qui mobilise un orchestre, un chef, une salle de répétition où ont lieu des représentations.
Les productions (jusqu’ici Tannhäuser, le Ring, Meistersinger, Tristan und Isolde) font ensuite l’objet de DVD.
Pour ces représentations du Festival mais qui ne sont pas le festival, une structure de production, BF Media, a été montée : c’est elle qui notamment avait eu la responsabilité des opéras du jeune Wagner l’an dernier.
Cette année, c’est Lohengrin qui est présenté. Le principe en est simple : une version réduite d’environ 1h20, un orchestre d’une trentaine de musiciens, un chef, une mise en scène autonome et des chanteurs engagés dans le Festival.
Il y a peu de spectateurs (au maximum 200), avec gradins et places réservées aux enfants sur un tapis qui constitue les premiers rangs, qui crée une grande relation de proximité avec la scène, notamment avec les enfants, qui sont plus de la moitié du public pour ces 10 représentations du 25 juillet au 7 août.
Un programme très bien fait, avec le résumé de l’action, des jeux, des dessins, et des explications très claires sur l’œuvre et sa genèse, est distribué au public.
C’est un spectacle qui n’est pas à négliger, loin de là : il ne s’agit pas d’un travail rapide et sans intérêt, mais d’un vrai spectacle, qui révèle sur l’œuvre des points dramaturgiques importants. Dans la version présentée, de Daniel Weber, travaillée musicalement par Marko Zdralek, c’est le premier acte, qui pose clairement les enjeux, qui constitue la moitié du spectacle, la réduction des actes II et III fait apparaître en creux les longueurs de la dramaturgie wagnérienne, car malgré les coupures, tout y est. On alterne texte parlé et texte chanté : les chanteurs parlent, expliquent aux enfants l’histoire, suscitent leurs réactions, et surtout ils chantent, et ils chantent bien, et à pleine voix, et comme à l’opéra.
Lohengrin et son Cygne © BF Medien GmbH 2014 / Foto: Jörg Schulze
Il en résulte un spectacle qui fonctionne, avec ses moments d’émotion, avec son rythme (c’est raconté comme un conte de fées) avec un peu de distance souriante (arrivée de Lohengrin sur une sorte de gros vélo-char illuminé dominé par un enfant-cygne). Le décor, minimaliste, est géré et déplacé par les enfants du chœur Bayreuther Kinder- und Spatzenchor an der Hochschule für evangelische Kirchenmusik, qui va prend la place du chœur habituel pour les rares moments où il intervient (très bien réglés d’ailleurs) : décor (Alexander Schulz) de praticables en bois facilement déplaçables qui structurent l’espace, et qui constituent aussi des caisses où l’on trouve les objets, où l’on place les vaincus (combat Lohengrin-Telramund très bien réglé et intelligemment conclu, corps de Telramund mis en boite au troisième acte). Les costumes ont été élaborés par des élèves des écoles de Bayreuth, bien faits, bien identifiables, comme ce chapeau d’Ortrud fait de serpents entremêlés (tout cela est très bien illustré dans le programme de salle). La mise en scène de Maria-Magdalena Kwaschik raconte l’histoire, conçue comme un récit. Cela visiblement passionne les enfants qui restent silencieux et qui bougent à peine (leur âge va de quatre/cinq ans à une douzaine d’années).
Musicalement, c’est l’orchestre de Francfort/Oder (Brandenburgisches Staatsorchester Frankfurt(Oder) dirigé par un jeune chef, Boris Schäfer, installé au fond sur des gradins derrière l'espace scénique, un accompagnement de bon niveau, même si l’on entend quelques scories dans les cuivres (comme chez leurs collègues du Festival…), avec un vrai sens dramatique et des moments très lyriques.
Lohengrin (Norbert Ernst) © BF Medien GmbH 2014 / Foto: Jörg Schulze
Norbert Ernst, chante Lohengrin. C’est le Loge du Ring de Castorf. Même si la voix n’a pas l’étendue nécessaire pour affronter le rôle au théâtre, il chante avec une grande élégance et on reconnaît ses qualités de diction, de couleur et de phrasé, très beaux filati, très bon contrôle vocal, et un personnage de chevalier blanc sympathique qui convient très bien pour les enfants. Ces derniers ont apprécié son humour gentil et ses entrées dans son char à pédale tout illuminé.
Elsa (Christiane Kohl) © BF Medien GmbH 2014 / Foto: Jörg Schulze
Elsa, c’est Christiane Kohl, la troisième Norne dans le Ring, une voix ronde, bien lyrique, qui remplit la salle, un peu en retrait au niveau théâtral.
Ortrud et Telramund © BF Medien GmbH 2014 / Foto: Jörg Schulze
Telramund, c’est Jukka Rasilainen, qui n’est pas distribué au Festival cette année mais qui y a chanté Kurwenal dans la production Marthaler, et aussi Telramund, Amfortas et le Hollandais. Son Telramund est magnifique : il en fait un méchant de guignol, avec clins d’œil aux enfants, et il est de plus bien chanté : dans une salle aussi réduite, pour que les enfants comprennent, il faut un chanteur qui ait le sens du phrasé, une impeccable diction et qui sache communiquer. Il a toutes ses qualités.
Ortrud, Alexandra Petersamer est l’une des Walkyries (Rossweisse) du Ring de Castorf comme elle le fut du précédent. Son Ortrud est solide, la voix est large, bien projetée, homogène avec de très beaux aigus.
Le roi Heinrich a un rôle dans cette mise en scène essentiellement fonctionnel : il est interprété par le bariton-basse Raimund Nolte qui ne chante pas au festival, mais que les parisiens ont vu dans Melot dans le dernier Tristan parisien dirigé par Philippe Jordan.
Au total, un vrai moment de théâtre et d’opéra, très séduisant, voire émouvant, qui a rencontré un très gros succès (impossible d’avoir des places), très mérité comme en ont témoigné les applaudissements nourris des (jeunes) spectateurs.
Telramund vaincu © BF Medien GmbH 2014 / Foto: Jörg Schulze