"Da pena. Cela me fait de la peine de venir là et de voir que tout est détruit. Je n'y vais plus. La dernière fois que j'y suis allée, j'ai pleuré."
Tous ceux qui ont connu la grande époque du chemin de fer à Cochabamba tiennent le même discours. C'est toute une partie de leur vie qui est en ruines. Le "campamento", l'alignement des maisons de l'entreprise, tout leur rappelle une époque aujourd'hui révolue.
D'abord propriété des anglais, les chemins de fer avaient été nationalisés avec la révolution de 1952, la première d'Amérique Latine. A partir de ce moment, l'entreprise était devenue florissante. Les ouvriers disposaient de maisons de fonction, dans lesquelles l'eau courante, utilisée dans la mesure des réserves disponibles, avait été installée. Il y avait un terrain de football, des terrains de tennis, une fanfare, un syndicat et bien d'autres choses propres à une entreprise publique productive.
Et puis, à la fin des années 90, le gouvernement en place a décidé la privatisation des chemins de fer. En réalité, aucune entreprise privée n'a été constituée pour reprendre à son compte l'exploitation des infrastructures. Au contraire, les Chiliens se sont appropriés les matériaux, ont démonté tout ce qu'ils pouvaient et sont partis avec. Les ouvriers ont été licenciés, sans indemnisation. La seule fleur qu'on leur ai faite a été de leur vendre les maisons de fonction à des prix extrêmement bas, soit à peu près 4000 dollars. Ensuite, ils ont dû aller chercher du travail ailleurs comme ouvriers, journaliers. Peu d'entre eux ont suivi les Chiliens jusque dans leur pays.
Aujourd'hui, les installations sont en ruines. Les courts de tennis encore flambants neufs voisinent avec des carcasses de wagons autour desquelles gravitent quelques ânes. Les bureaux sont maintenant habités par des familles. Les anciens trains à vapeur finissent de rouiller dans les hangars. Rien ne subsiste. Même la vierge de Fatima a été retirée de sa grotte. Dieu seul sait où on a bien pu la mettre. Quant aux "viviendas", les anciennes petites maisons des cheminots, elles sont le repère des chiens errants, garnies des ordures de familles pauvres qui se sont installées là. Tout a été vendu, jusqu'au moindre bout de terrain.
On a bien essayé de recycler l'endroit en commençant à y construire ce qui ressemble à une gare routière, mais le projet est lui aussi tombé à l'eau.
Ce matin, une fanfare répétait au milieu des ruines industrielles. Elégie funèbre aux chemins de fer de Cochabamba.