Tout lecteur a ses faiblesses et ses lacunes. Les miennes sont flagrantes quant à ce roman de Jerome Charyn sur la vie des émigrés de l’Europe de l’Est avant guerre, àNew York, et viennent surtout de ma méconnaissance de l’histoire politique duBronx avec ses luttes mafieuses intestines.
Ceci mis à part, j’ai beaucoup aimé ce récit évoquant l’enfance du narrateur de cinq à sept ans, de 1942 à la fin de la guerre, aux côtés de sa mère chérie et admirée, la belle Faigele, venue de Moguilev, en Biélorussie, où elle a laissé son frère aîné dont elle attend interminablement des nouvelles. Harvey, son fils aîné, parce qu’ asthmatique, est exilé en plein désert, dans l’Arizona. Il préfère son père, Sam,l’occasionnel marchand de fourrure. Son petit frère Jerome, lui, «bébé Charyn», le narrateur, a choisi sa mère, tour à tour croupière d’un gros bonnet de la pègre, trempeuse de cerises dans du chocolat, reine du marché noir.
Nous allions par les rues, l’enfant prodige en culottes courtes et sa mère, d’une beauté si insolente que cessait tout commerce : nous pénétrions alors dans un univers au ralenti où femmes, hommes, enfants, chiens, chats et pompiers dans leur camion la regardaient passer, les yeux emplis d’un tel désir que je me faisais l’effet d’un usurpateur en train de l’enlever vers quelque distante colline. »
Joli récit autobiographique d’une vie difficile, dans une époque dramatique et dans un milieu des plus violents, à travers le regard d’un jeune enfant qui, très naturellement, magnifie les événements, les rendant magiques et nostalgiques. Une écriture légère et tendre. Un vrai bon moment de lecture.
Nous allions entrer dans le marché couvert quand une petite bande de gens en haillons s’approcha de nous, des hommes avec un drôle d’uniforme, des moustaches grises et d’énormes yeux qui vous pénétraient. C’étaient des prisonniers de guerre italiens accompagnés par la police militaire: sifflets, casques et pistolets. (..) Ils avaient été placés dans une situation comique. L’Italie s’était rendue depuis des lustres et ces prisonniers de guerre auraient dus être renvoyés chez eux, mais c’était impossible tant que les Allemands occupaient l’Italie du Nord (…) N’étaient-il pas eux aussi des voyageurs comme maman et moi? Piégés dans l’énigme de notre siècle, fêtant Noël en mai, à l’intérieur d’une minuscule bulle italienne. Maman ressentait-elle sa propre condition de prisonnière à les voir ainsi. Ils ne murmuraient rien, ils ne ricanaient pas. Ils regardaient. Et maman fut incapable de se dérober à ces clowns prisonniers. Elle courut soudain, courut les étreindre, serra chacun de ces prisonniers de guerre dans ses bras, les laissa fourrer leur nez dans la fourrure soyeuse de son manteau: la police militaire n’en revenait pas; c’était comme s’ils étaient eux aussi prisonniers, étant privés de sa chaleur.
La belle ténébreuse de Biélorussie, Jerome Charyn (Gallimard, collection Haute Enfance, 1997, 182 pages + 8 p. hors texte, 8 ill. Titre original: The Dark Lady from Belarusse Traduit de l’américain par Marc Chénetier
Jerome Charyn est un auteur américain primé. Ayant publié près de 50 œuvres, Charyn s’est bâti au fil du temps une réputation d’écrivain prolifique et imaginatif, abordant les thèmes de la vie américaine réelle et inventée, l’un des plus importants écrivains de la littérature américaine.
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