Un temps capitale politique de la Perse, Shiraz reste surtout sa capitale poétique. Un charme tranquille se dégage de ses bazars, de ses mosquées, de ses jardins, parfois cachés dans un lacis de ruelles, parfois au bord d’un grand axe urbain.
Vue des collines qui la surplombent au Nord, Shiraz est couleur de poussière, cernée de montagnes arides. Le tissu urbain s’étend sans ordre apparent sur tout ce qui est plat; on entend de partout la circulation chaotique. Ceux qui marchent passent d’une zone d’ombre à l’autre, en fuyant le soleil torride. Le fleuve est à sec.
Mais dans la vieille ville l’atmosphère est tout autre. Les bazars sont couverts d’arcades fraîches; les ruelles étroites ponctuées de voûtes ogivales se faufilent entre les hauts murs ocres des maisons à la manière des hutongs pékinois; les tapis épais des mosquées sombres invitent certains au recueillement et d’autres à la sieste…
Et il y a les jardins, qui valent ceux de la villa d’Este sinon par l’agencement de leurs fontaines et massifs de fleurs, du moins comme échappée à l’agitation torride de la ville.
Ainsi je reste plusieurs heures à observer le défilé des Iraniens sur la tombe d’Hafez, au milieu d’un joli jardin. Activité “dominicale” (du vendredi….) par excellence, après un pique-nique en famille (les Iraniens sont de grands pique-niqueurs devant l’Eternel).
Hafez, c’est le maître du ghazal, le plus grand poète lyrique iranien. Il a vécu au XIVe siècle, mais tout Iranien peut réciter quelques-uns de ses vers. De ses poèmes on ne sait jamais s’ils parlent d’amour, ou de politique, de plaisir ou de foi…
Dans ce jardin, il y a les familles à bambins – un garde est placé avec semble-t-il pour seule fonction de les siffler quand ils jouent avec l’eau des bassins. Il y a les grands-mères qui s’agenouillent avec dévotion au pied du tombeau. Il y a les jeunes, en visite chez la famille, qui sont venus traîner là. Il y a des petites filles toute fières de porter leur foulard “du dimanche”. Il y a des adolescentes boutonneuses qui gloussent en chador intégral. Il y a des élégantes, celles-là le plus grand nombre: celles très maquillées, les lèvres très rouges, celles aux cheveux blonds, celles couvertes de bijoux, celles au foulard coloré qu’elles ont reculé autant que physiquement possible pour montrer leurs cheveux…
La tombe d’Hafez est sous une pagode octogonale surélevée; autour d’elle une assemblée hétéroclite murmure des prières (ou des vers?), se prend en photo, bavarde, pose une main sur la tombe.
“C’est pour toi, ô Beauté, qu’Hafez est venu
Au royaume de l’existence
Fais avec lui quelques pas
Pour lui dire adieu
Car il va repartir.”