Le plan ayant servi à l'information du public.
Un confrère blogueur m’interpelle au sujet de ce qu’il appelle mon silence de « socialiste ». Un silence sur le débat créé autour du projet de contournement est de Rouen qui a suscité une levée de boucliers en Seine-Maritime et dans l’Eure, notamment à Léry, Incarville et Val-de-Reuil, communes plus impactées que d’autres. Ce silence n’est que relatif car j’ai déjà publié des appels à manifester au nom de « non à l’autoroute ». Ce que veut mon confrère c’est que je rejoigne la cohorte des opposants selon la formule célèbre : les petits ruisseaux font les grandes rivières.Avant d’entrer dans le fond du sujet, je dois d’abord rappeler que s’il est vrai que je suis membre du PS — je n'en ai aucune honte même par les temps qui courent — je ne suis aucunement le porte-parole de ce parti sur mon blog, lequel demeure un espace de totale liberté personnelle. Je publie ce que bon me semble et ne subis ni pression ni injonction. Cette précision me paraît nécessaire dans la mesure où elle me permet de me situer, parfois, en marge des positions et des actions du Parti socialiste et du gouvernement actuel dont je n’approuve pas toutes les orientations.
Cela étant dit, la création ex nihilo d’une autoroute à quatre voies d’une quarantaine de kilomètres entre Isneauville au nord de Rouen et Incarville au sud, entraînera diverses conséquences sur les espaces naturels, sur les trafics de véhicules lourds ou légers et sur le mode de vie d’habitants situés près de la nouvelle voie potentielle sans oublier l’aspect financier puisqu’on sait que cette autoroute nouvelle sera concédée (donc à péage) à un grande groupe du BTP dont on connaît les marges bénéficiaires et l’appétit glouton.
Pourquoi une nouvelle voie à l’est de Rouen ? L’étude technique des services de l’Etat affirme qu’elle aura vocation à recueillir le trafic nord-sud des centaines de poids lourds qui transitent actuellement par la ville de Rouen. « Le projet devrait intéresser entre 20 000 et 30 000 véhicules-jour. » La fermeture du pont Mathilde (réouverture début septembre ?) démontre bien la nécessité de « fluidifier » le trafic eu égards aux nombreux bouchons et déviations constatés depuis l’accident de la Saint-Romain 2012.
A l’origine — c’était dans les années quatre-vingt — les techniciens des services de l’Etat avaient exprimé la nécessité de créer une sorte de rocade autour de Rouen afin de désengorger les quais et de favoriser la traversée nord-sud de la capitale normande avec plus d’aisance notamment pour les poids lourds. Avec le temps, le projet a évolué pour devenir ce qu’il est : un contournement de Rouen éloigné de la ville, perdant sa fonction de rocade pour devenir un axe structurant destiné à irriguer les bassins de vie et d’emplois et également de désenclaver la vallée de l’Andelle grâce à un échangeur complet avec le CD 321.
L’état institutionnel actuel du dossier est le suivant : la Région est favorable à la création de cette autoroute, tout comme les Départements de Seine-Maritime et de l’Eure. La bande des 300 mètres dans laquelle s’intègrera le tracé définitif est acquise. L’Etat, n’ayant plus un sou en caisse, a choisi la voie de la concession « seule solution permettant la réalisation d’un seul tenant, dans un calendrier maîtrisé, d’un équipement offrant un haut niveau de service. En contrepartie de son investissement initial pour la construction, l’exploitation et l’entretien de l’autoroute, le concessionnaire sera autorisé à percevoir des péages. » Une étude sérieuse démontre que le coût des péages est trop élevé en France. « Les tarifs des sociétés autoroutières ont encore progressé de 1,14% cette année après avoir grimpé de 2,5% en 2013 et de 2,01% en 2012. La hausse du ticket autoroutier demeure supérieure à l'inflation. Entre 2007 et 2012, les péages ont augmenté de 11%, alors que l'indice Insee des prix à la consommation n'a progressé que de 8,5%. Et encore cette moyenne cache-t-elle de grandes disparités…certains tronçons atteignent aujourd'hui des records. L'A65 entre Bordeaux et Pau : 22 euros pour 150 kilomètres. Les 15 kilomètres de l'A14 : 8,20 euros le dimanche soir. Quant au tunnel "Duplex" de l'A86, en banlieue parisienne, il est facturé 10 euros pour 10 kilomètres. » Si l'Etat fixe en théorie les hausses tarifaires, il est en réalité dépendant de quelques grands groupes depuis qu'il leur a cédé, il y a huit ans, les sociétés d'autoroutes : les français Vinci (propriétaire d'ASF, Escota et Cofiroute) et Eiffage (APRR et Area) et l'espagnol Abertis (Sanef et SAPN) détiennent les trois quarts du réseau autoroutier français.
Dans quelles poches ont atterri les 9,24 milliards d'euros générés par les péages français en 2013 ? Selon Vinci Autoroutes, les sociétés contribuent directement aux finances publiques à hauteur de 4 milliards d'euros sous forme de TVA (1,7 milliard), d'impôt sur les sociétés (1,18 milliard), de redevance domaniale (250 millions), de taxe d'aménagement du territoire (584 millions) et de contribution économique territoriale (280 millions). Chaque année, 1,6 milliard d'euros sont dépensés dans les charges liées à l'exploitation des autoroutes ; 1,8 milliard, dans la modernisation, l'intégration environnementale et le développement des réseaux autoroutiers. Le reste, 1,8 milliard d'euros, constitue les juteux bénéfices des groupes exploitants...» (1)
Les services de l’Etat mettent également en avant les bénéfices tirés des échangeurs créés avec la RN 31, La RD 6014, La RD 95, la RD 321, La RD 6015 et la zone d’activité Seine-Sud. Ils vantent l’attractivité des zones d’emplois alentour notamment autour d’Alizay et Val-de-Reuil et donc de la CASE. Je signale au passage que Bernard Leroy, le nouveau président de cette assemblée d’élus veut la création d’un échangeur complet à Heudebouville et se déclare prêt à financer les travaux puisque la SAPN fait la sourde oreille…comme d’habitude.
Au cours des réunions publiques organisées récemment, les détracteurs — les écologistes, le NPA, des sans cartes et sans partis membres des associations de défense de l’environnement — s’opposent par centaines au principe même de la création d’autoroutes. Ce n’est pas le cas des élus opposés à « CETTE » autoroute-là et à son tracé actuel à Léry et Val-de-Reuil par exemple. Certains d’entre eux exigent des protections environnementales fortes sans rejeter, a priori, l’outil autoroutier. Ils demandent également des garanties pour les habitants qui vont être soit privés de leur habitation soit amputés de leur outil de travail. Ce pourrait être le cas des Transports Leloup à Incarville.
Je pense aussi à la disparition de surfaces cultivables et aux hectares de forêts artificialisés avec les conséquences environnementales non négligeables sur l’écoulement des eaux de surface. La création d’ouvrages d’art importants pour rejoindre le carrefour des Vaches et passer au-dessus de la Seine en amont de Pont-de-l’Arche soulève d’autres questions sans réponse précise en l’état actuel du dossier.
Le coût total des travaux est estimé (en 2014) à environ 1 milliard d’euros. La mise en service interviendrait en 2024. L’enquête publique officielle se déroulera en 2015 et 2016 avant le choix du concessionnaire en 2016-2017 et le lancement des travaux en 2019. Encore faut-il que le ministre des transports valide le dossier en cours dès que sera connue la synthèse des réunions publiques et contradictoires récentes.
En l’état actuel du dossier, je ne me prononcerai pas pour ou contre l’autoroute A28-A13. L’affaire du train en vallée d’Eure, si présente dans le débat lors des cantonales 2008 (et qui a disparu de l’agenda comme par enchantement) m’a appris à être prudent avec les dossiers d’infrastructures. Si un conflit doit être mené — pourquoi pas ? — il faut qu’il le soit sur des bases précises, concrètes, argumentées, définitives. Dire non à TOUTES les autoroutes n’est pas ma position. Marc-Antoine Jamet, maire de Val-de-Reuil, considère que la négociation, les contre-propositions, le rapport de forces en un mot, sont utiles pour défendre l’intérêt général. Je suis aussi sur cette position.
Je ne sais si, ce faisant, j’aurais donné satisfaction à mon interpellateur, en tout cas, j’ai tenté de lui apporter un début d’explication. Sur un début de dossier.
(1) étude parue dans Le Nouvel Observateur qui me sert de source.