On a des phrases qui vous hantent
Machinales
Et que l’on dit à tout bout de champ n’importe où
On vieillit
C’est un peu comme un tic une toux
On dit
Comment ça va
Pas mal et vous
Pas mal
On dit
Mon
Dieu Ça ne veut rien dire du tout
Mon
Dieu faites mon
Dieu que je meure en silence
Je ne crois pas en vous
Pourtant si vous étiez
Et de qui donc prier au plus cette pitié
Qu’on se taise sur moi quand l’ombre à ma semblance
Aura vu se fermer les branches du sentier
J’écoutais à l’instant parler pour une morte
On l’aimait
Elle était touchante comme un chant
Et ceux-là qui tâchaient aussi d’être touchants
Faisaient à cette tombe ouverte un bruit de porte
Importun et pourtant tellement pas méchant
Ah j’imagine comme à l’entendre confuse
Ou le feignant peut-être elle leur eût paru
L’écolière qu’effarouchait un mot trop cru
Refusant de l’épaule un compliment par ruse
Pour fuir la fausseté des hommes par les rues
Vous avez bien souffert
Madame mais personne
Aujourd’hui n’aura dit ce lent apaisement
Et que vos yeux ont vu tomber tout doucement
Le voile du bonheur muet enfin que donne
Cette nuit éternelle où personne ne ment
Quand c’était trop affreux vous regardiez les arbres
Ils ont aussi des nœuds à leur tronc comme nous
Nous parfois
Je soleil s’approche et nous dénoue
Tout ce qu’on lui disait la laissait bien de marbre
Auprès de la cheville atroce et du genou
Elle faisait semblant cette femme sensible
On ne sait trop de quoi mais en tout cas semblant
J’étais allant la voir toujours
Renaud tremblant
Aux parterres d’Armide où marcher n’est possible
Sans lever à ses pas les passereaux d’antan
C’était qu’elle devait plus ou moins se défendre
Autour d’elle opposant comme un chat familier
Quelque ancien souvenir à ce que vous alliez
Dire ou faire peut-être et qu’il faudrait entendre
Faute de fuir sur la rampe de l’escalier
Armide et son bonheur abandonnant l’Oronte
Que les soldats du
Christ y meurent donc sans eux
Ont gagné ce rivage aussi bleu que les cieux
Où les enchantements neige et soleil affrontent
Où l’on vit sans armure un printemps merveilleux
Armide et son bonheur ignorent la croisade
Ignorent l’homme en proie à des difficultés
Tout leur art n’est qu’amour à ces bords enchantés
Retourne si tu veux par la mer de
Grenade
A
Carthage ou
Damiette
Eux vont ici rester
Armide est ce détour volontaire
L’exil
En plein cœur
Une soif ardente au lac lointain
Cette consomption des plaisirs mal éteints
Cet émerveillement égoïste des îles
Dont la mer d’émeraude entoure les matins
Cette île
Fortunée était bien la dernière
Qu’un désir souverain berçât de ses accents
Les fleurs et les parfums y paraissaient puissants
Comme aux primes lueurs des aubes printanières
Quand tout avait le trouble et la chaleur du sang
Où le jour de naguère uniquement pénètre
Où la pierre et le ciel à ses rêves se plient
Armide des douleurs je la vois sur ce lit
Magicienne imaginaire à sa fenêtre
Mélange singulier de mémoire et d’oubli
Elle semblait parmi ses livres couleur
Parme
Telle qu’elle a voulu que le monde la vît
Mettant le nom de la violette à la vie
Comme un songe embaumé prisonnière d’un charme
Etrangère à l’histoire et par tout asservie
Lorsque je l’ai connue elle avait l’air d’un faune
Encore il m’en souvient au
Boulevard
Suchet 11 en restait sa voix de syrinx où perchait
Avec toutes les variations d’un
Beaune
Le roulement des r comme un vin dans le chai
L’avenir qu’il y puise
Et dans son héritage
Décompte les raisins comme il faut grain à grain
Décante du tanin ce soleil souterrain
Dépouille l’amertume et prenne en son partage
Ces doux regards qu’à l’ombre accorde un romarin
Elle n’avait choisi ni le temps ni le monde
Qui lui furent donnés pour croître et pour aimer
Et non plus le rosier le brasier allumé
N’ont choisi le bois mort ou cette terre immonde
Pour la flamme et la fleur l’épine et la fumée
Armide chère
Armide
Armide trop humaine
Les jours d’après la pluie en elle trouveront
Le plaisir d’oublier une ride à son front
Comme les sous tintant au bout de la semaine À la fin de l’hiver la tiédeur des marrons
Ces derniers temps tout n’était plus que silhouette
Estompement du mal et que fatigue au fond
Je me souviens de cette générale où l’on
Montra l’intimité de
Madame
Colette
Sur les petits écrans de la télévision
Qu’est-ce que c’est que ces lumières d’acrobates
Ces lampes d’Aladin cette sorcellerie
D’abord on entendait â peine et puis ça crie
Du moins était-il seul au château des
Carpathes
Cet étrange héros dont
Jules
Verne écrit
Rongeant au creux des rnonts un amour sans pâture
Pour une femme absente avec ses bras abstraits
Et cette voix trop belle et ce mouvant portrait
Du moins était-il seul assis à sa torture
Et ce n’était que lui-même qu’il torturait
Jeunesse ma jeunesse est-ce donc ton image
On survit longuement à l’avril des baisers
Déjà midi s’étonne et cherche la rosée
Même un beau crépuscule est encore un dommage
Le cœur qui se souvient n’est jamais apaisé
Jeunesse ma jeunesse il n’est plus de dimanches
Si tu t’en es allée en changeant mes cheveux
Jeunesse ma jeunesse assise à tous les feux
Où donc est le tapis vert et bleu des pervenches
Où sont les champs fleuris où tu disais je veux
Laisse là tes regrets vieil homme et ta jeunesse
Dimanche ou pas impatients dès le lundi
D’autres adolescents ouvrent le paradis
Ils ont cette splendeur des choses qui renaissent
Ne reconnais-tu pas ta propre mélodie
Laisse laisse la place à ce grand bal physique
Ne triomphes-tu pas tant qu’il est des amants
Regarde-les danser avec emportement
O jeunesse
Ancienne et nouvelle musique
Colette (‘écoutait de son appartement
On avait inventé ce spectacle pour elle
Elle était sur la scène et les acteurs jouaient
Dans ce chez elle où la souffrance la clouait
On l’appelait d’ici
Son chant de tourterelle
Dans les pick-up épars en retour s’enrouait
Elle avait
Cette idée accepté de le faire
Et tandis que la salle où le rideau rougit
Dans son
Palais-Royal avait soudain surgi
La voilà qui s’allume à la rampe d’enfer
Comment s’y refuser
Et répond à
Gigi
Cela prenait une atmosphère de collège
Elle répondait vite et peut-être à côté
Ses yeux avaient gardé leur fard et leur beauté
Qui nous donnaient le sentiment d’un sacrilège
En raison de cet enjouement prémédité
La pudeur du langage est un dernier orgueil
Les examinateurs dans le théâtre assis
En suivaient le détour et la péripétie
Nous étions enfoncés comme eux dans nos fauteuils
Qui tentions de comprendre à quoi bon tout ceci
Mais pour des papillons dont les gens lui parlèrent
Elle eut l’expression de la biche blessée
Quelle était cette plaie où saignait sa pensée
Quelque chose un moment avait dû lui déplaire
Rien qu’un moment Ça c’est tout de suite passé
Nous n’entrerons jamais au vrai jardin d’Armide
On avait beau l’avoir prise au piège et traînée
Dans l’éclat des sunlights comme une fleur fanée
C’était nous qui restions pareils au sol aride
Au long été de ses quatre-vingt-une années
Elle aura trop bien su ce que c’est que mourir
Comme aux indifférents la bouche s’y confie
On n’a plus le secours des yeux ni leur défi
Ni les éclairs furtifs la feinte du sourire
Elle n’a pas voulu qu’on la photographie
Elle n’a pas permis de fixer à son ombre
La narine immobile et la tempe sans bruit
Ce traître instantané cet effroi cette nuit
Elle n’a pas voulu demeurer ce décombre
Le masque abandonné d’où l’âme s’est enfuie
Nous ne la suivrons plus par les secrets méandres
Où seule et vainement elle eut un long succès
L’allée est solitaire où
Colette passait
Dans le vent retombé toute poussière est cendre
Une aile va manquer au murmure français
Adieu reine des prés adieu l’enchanteresse
Qui fis d’aimer ta loi ton souffle et ton credo À ta fenêtre encore il palpite un rideau
La nuit d’août est pleine encore de caresses
Claudine vit encore ô fille de
Sido
Demain dans ses bras prend tes belles créatures
Je ne sais pas vraiment pour lui ce qu’elles sont
La morsure s’oublie et reste le frisson
O folklore des temps ô nouvelle aventure
C’est la lèvre qui fait l’eau pure et la chanson
Tout meurt et refleurit tout se métamorphose
Vois-les vois-les grandir ces enfants de tes mains
Aux astres inventés d’un univers humain
Ton sauvage églantier va se couvrir de roses
Une odeur d’innocence envahit tes chemins
Louis ARAGON – Août 1954
Gabrielle-Sidonie Colette, 28 janvier 1873 – 3 août 1954
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