L'été indien ... (8)

Publié le 16 juillet 2013 par Asiemute

COCHIN


Quand l'avion de Sophie Mol fit son apparition dans le ciel bleu de Cochin, la foule se pressa contre les ballustrades pour essayer d'en voir plus.Dans le hall des arrivées, l'amour et l'impatience se bousculaient : le vol Bombay-Cochin était celui qu'empruntaient tous les émigrés du Kerala qui rentraient au pays.
Leurs familles étaient venues les attendre. Depuis le fin fond du Kerala. Après d'interminables voyages en car. Depuis Kumili, Vizhinjan, Uzhavoor. Certains avaient campé sur place et apporté leur nourriture. Sans oublier des chips au manioc et des chakka velaichathu pour le chemin du retour.
Ils étaient tous là : les mémés sourdes, les pépés revêches et arthritiques, les épouses éplorées, les oncles calculateurs, les enfant diarrhéiues. Les fiancées à réévaluer. Le mari du professeur qui attendait toujours son visa pour l'Arabie saoudite. Les soeurs du mari du professeur qui attendaient leur dot. La femme enceinte du pistonné.
"Rien que de la racaille", dit sévèrement Baby Kochamma, qui détourna pudiquement la tête quand une mère, qui ne voulait pas perdre sa bonne place contre la barrière, guida le pénis de son enfant distrait dans une bouteille vide, tandis que celui-ci souriait et agitait la main en direction des gens alentour.
"Psss, psss ..." siffla la mère. D'un ton d'abord persuasif, puis bientôt péremptoire. Mais le bébé se prenait pour le pape. Souriait, agitait la main, souriait, agitait la main. Le pénis dans la bouteille.
"N'oubliez pas que vous êtes des ambassadeurs de l'Inde, dit Baby Kochamma à Rahel et à Estha. La première impression qu'elles auront de votre pays, c'est vous qui allez la leur donner."

Extrait de Le Dieu des Petits Riens de Arundhati ROY

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Photos à Cochin, Inde du Sud, janvier 2011