Après les reprises en copies neuves de Cléo de 5 à 7 et Sans toit ni loi, ce sont les 5 courts métrages tournés par Agnès Varda lors de ces deux séjours aux USA (1967-1970, et 1979-1981), qui ressortent en salles en copies restaurées.
En 1967, le réalisateur Jacques Demy arrive à Hollywood pour y tourner Model Shop, sa femme, Agnès Varda, l’accompagne. Elle a alors 39 ans et appartient d’ores et déjà à l’histoire du cinéma, grâce notamment à La pointe courte (1954) et Cléo de 5 à 7 (1962). Partie initialement pour y tenter sa chance elle aussi, sa créativité marginale se heurte aux studios hollywoodiens qui lui refusent le final cut. Varda ne renonce pas à son besoin de filmer. Car la découverte de la Californie est un choc. En pleine effervescence hippie, la Côte Ouest exulte alors de jeunesse, de musique (c’est l’époque des « Love in » dans les parcs), d’une liberté solaire qui fascinent Varda. Elle prend sa caméra et tourne coup sur coup trois films, Uncle Yanco, Black Panthers et Lions Love…(and Lies).
Agnès Varda retournera à Los Angeles dix ans plus tard, en 1980, pour y tourner Mur, Murs, qui explore les murals, ces fresques gigantesques réalisées par des Noirs et des Chicanos sur les murs de L.A, aujourd’hui presque toutes disparues, et Documenteur, sur les pérégrinations d’une Française et son fils de 8 ans (interprété par Mathieu Demy, le fils de Varda), dans les rues Venice Beach, quartier phare de la libération des mœurs.
Passés presque inaperçus à leur sortie, on mesure aujourd’hui, l’apport documentairede ces cinq films sur une époque révolue. Ils s’imposent comme un outil précieux pour qui veut découvrir l’âme originelle du mouvement hippie, période historique qui bouleversa à jamais l’ordre du monde occidental.
C’est un plaisir de (re)découvir la manière unique de filmer d’Agnès Varda, sa liberté de ton, le regard qu’elle porte sur les autres, la qualité de l’image.
COUP DE PROJECTEUR SUR CHAQUE FILM
Réal. : Agnès Varda
Avec : Agnès Varda, Juliet Berto, M. Demy
France – USA / 1982 / 1h20
Documentaire
Synopsis : Documentaire sur les "murals" de Los Angeles, c’est-à-dire les peintures sur des murs de la ville. Qui les peint. Qui les paye. Qui les regarde. Comment cette ville, qui est la capitale du cinéma, se révèle sans trucage – avec ses habitants par ses murs murmurants. Les murs californiens parlent à une Française qui les découvre.
Le mot d’Agnès : "À Los Angeles, les plages de Venice et de Santa Monica, on les a connues, Jacques (Demy) et moi, à chacun de nos séjours. Elles ont été nos décors de vie et de films, dont pour moi, un film hippie et un film triste. Nous habitions Venice, avec un « c » comme Californie, et il y avait des murs peints partout dans le quartier. Je roulais dans une Chrysler aussi grosse qu’un bateau, de Los Angel’Ouest à Los Angel’Est, pour repérer d’autres murals. Je me demandais qui les avait peints, qui les avait payés. Pour le découvrir une longue enquête a été nécessaire, occasion encore de rouler dans le bateau !"
France / Etats-Unis. 1968 – 0h30.
Documentaire tourné à Oakland (Californie) au cours des manifestations autour du procès de Huey Newton, leader des activistes noirs… Au temps où les Black Panthers avaient un programme et des projets, avec entraînement des troupes, meetings, danses et déclarations, au temps où les Black Panthers inquiétaient les USA.
Avec Sabine Mamou, Mathieu Demy, Lisa Blok
France / Etats-Unis. 1982 – 1h03.
Synopsis : A Los Angeles, une Française, Emilie, séparée de l’homme qu’elle aime, cherche un logement pour elle et son fils de 8 ans, Martin. Elle en trouve un, y installe des meubles récupérés dans les déchets jetés à la rue. Son désarroi est plus exprimé par les autres qu’elle observe que par elle-même, vivant silencieusement un exil démultiplié. Elle tape à la machine face à l’océan. Quelques flashes de sa passion passée la troublent et elle consacre à son fils toute son affection.
Le mot d’Agnès : "J’ai eu envie de filmer le moment difficile dans la vie d’une femme qui se retrouve seule avec son enfant de 8 ans dans une ville d’étrangers et d’exilés. C’est la monteuse même de Mur Murs, Sabine Mamou, belle femme joyeuse au regard grave, à qui j’ai demandé d’interpréter Emilie. Et pour son fils Martin, j’ai pensé très naturellement à mon fils Mathieu qui avait 8 ans".
France / Etats-Unis. 1967 – 0h22.
"C’est un portrait- reportage du peintre Jean Varda, mon oncle. Dans les faubourgs aquatiques de San Francisco, centre intellectuel et cœur de la bohème, il navigue à la voile latine et peint des villes célestes et byzantines, car il est grec. Cependant, il est très lié au jeune mouvement américain et reçoit des hippies et des contestataires dans son bateau-maison. Comment j’ai découvert mon oncle d’Amérique et quel merveilleux bonhomme il est : c’est ce que montre ce court-métrage." Agnès Varda
Avec Viva, Jim Rado, Gerome Ragni
France / Etats-Unis. 1969 – 1h50.
Synopsis : Trois acteurs – Viva, Jim, Jerry sur le chemin de la " staricité " et sur celui non moins difficile de la maturité – vivent dans une maison louée sur une colline de Hollywood. Ils ont tous les trois des crinières de lion. Ils vont vivre à leur façon l’assassinat de Robert Kennedy à travers ce que la télévision en montre, alors que leurs amis ont d’autres problèmes. Le poste de télévision est aussi une star du film.
Commentaires : Alors que la majorité de ses confrères apprentis-cinéastes est à Paris dans l’effervescence de la "révolution", Agnès Varda est à Los Angeles où elle accompagne Jacques Demy, venu tourner Model Shop pour la Columbia. Installée au sein d’un hôtel de luxe, elle met en place ce projet sur la culture "flower power" qui souffle sur le monde. Et elle profite de son environnement puisque le tournage s’est effectué à Los Angeles sur son lieu villégiature !
A l’origine, Agnès Varda voulait que Jim Morrison tienne le premier rôle masculin de Lions Love mais ce dernier aurait décliné la proposition. Néanmoins, de passage sur le tournage pour rencontrer la production, le leader des Doors figure dans la scène d’ouverture du film, mais n’a pas été crédité au générique.
Pour sa fiction hippie, Agnès Varda a choisi un trio d’acteurs composé d’icônes emblématiques de la culture américaine des années 70. On y retrouve l’actrice américaine Viva, qui n’était autre que la muse d’Andy Wharol, puis Jim Rado et Gerome Ragni, les auteurs de la comédie musicale à succès "Hair".