Spring leaves

Par Villefluctuante

1. QUAI DE VALMY

Dans le petit square de l'écluse

Les gars du printemps

Tirent sans conviction sur leurs barres de fonte

Le regard ailleurs ils scannent le trottoir

Où filent les vélos

Où cliquètent les filles

Les ombres sont violettes et fraîches comme des poissons

2. Il ET ELLE

Grande, blonde, sculpturale

Veste en cuir, jupe, bottes

Et un air de triomphe faussement candide,

-ah ce demi-sourire !

Elle marche comme une gloire

Petit et calamistré et empressé,

Il la regarde d'en bas et trotte à ses côtés

Eperdu

Etonné

Il vérifie que c'est bien sa main qu'elle tient

Il vérifie que c'est bien de lui qu'il s'agit

Et il sourit

3. L'AXE DU RAT

Devant l'hôpital Rothschild

Au pied d'un arbre

Un jeune rat mort

Son corps raidi et tendu forme une ligne droite du museau à la queue

Obliquement posé sur la plaque de fonte renversée

Il esquisse ainsi un axe qui s'enfonce fantastiquement dans la Terre

D'après mes calculs

Il ressortirait à Terre-Neuve

4. MOI-MEME (le caïman)

Dilettante

Velléitaire

Et intéressé

Et trop facile

Et trop distancié

Les critiques

Me rentrent dans le nez et me picotent comme les grains de pollen des marronniers

J'éternue

J'éternue

J'éternue, mais je n'en pense pas moins

5. ECUME

Quelques lascars traînent un filet antique dans le soleil couchant

Bars et dorades sautent dans l'écume qui crépite comme un vin jeune

La marée monte à nos pieds et pourrait raconter n'importe quelle histoire

Comme toujours

6. SANS TITRE

Mince blindage vraiment

Membrane plutôt entre le dedans et le dehors

Ecran où se projettent

Les rêves

A l'intérieur

Une étoile

Et un puits

Bleu

Sombre

7. ASSOMBRISSEMENT

Rue Lafayette, qu'est-ce qu'il y a

Pourquoi cette inquiétude

Soudaine

Au café on voit les amants

Fatigués par la nuit d'hôtel comme après un voyage

Et dehors,

Les ombres rapides qui glissent sur les façades,

Ondoyantes

Rue Lafayette, qu'est-ce qu'il y a

Pourquoi cette inquiétude

Soudaine

8. MONTSOULT

Je suis là

En morceaux…

9. NEUF HEURES

Une fillette en trottinette

Entre à la boulangerie et laisse à l'entrée

Un chien noir et blanc de taille moyenne

Le chien attend, assis puis sur ses pattes

Renifle, hume pendant que sa queue bat un rythme invisible

La fillette ressort avec ses croissants et tous deux repartent

Qui glissant qui trottant

Sous les marronniers

10. LE HERON

C'est une verticale

Un axe

Un tube qui pivote par saccade comme une girouette guindée

Soudain l'ensemble du système ploie vers l'eau à toute vitesse

Et le bec se goberge de l'éclat d'argent d'un poisson

Ultime réaction de plaisir, une patte raide et jaune sort de l'eau pour frotter le croupion de plumes grises

Puis c'est le vol

Lourd, ployé, plaintif - je dirais presque syndical

Vers un rocher au soleil

11. BELLEVILLE

Au Cabaret Populaire

Essayer d'être de gauche

Et voir sans vraiment comprendre

La vieille qui refourgue ses bibles au carrefour

Le magasin bio et ses prêtresses

Les restaurants chinois et leurs canards laqués

Tout raides

12. SANS TITRE

Le chat a disparu

Et les plans ne s’impriment pas

Et le ciel est gris, lourd et oppressant

Et c’est dimanche

Et sous nos corps blancs qui nagent maladroitement, aveugles

Il y a les abysses

Il y a les monstres

Il y a les tempêtes sous-marines

Ce sont les nôtres, dit Rainer Maria

D’accord

Mais bon

13. SIX HEURES DU SOIR

Deux jeunes branleurs boivent des bières sur le toit de l'immeuble d'en face

Ils fracassent les capsules sur la balustrade en fer

La mousse brille comme de l'écume dans ciel là-haut

Alors, là, accoudés

Lunettes de soleil

Cheveux mi- longs

Barbe de trois jours

Sourire que rien n'étonne

Alors ils règnent

Jean-Philippe Doré