J'ai peiné à m'intéresser à Origine, dernier spectacle de Sidi Larbi Cherkaoui. C'est une vague ode à la femme, au travers des difficultés des rapports de couples. Le tout accompagné de
chants médiévaux de diverses cultures interprétés live, comme c'est devenu habituel chez le chorégraphe.
Plusieurs choses me gênent : Sidi Larbi Cherkaoui est trop gentil pour être artiste. Son intention, très affirmée, d'accueillir toutes les races et toutes les cultures, par le mélange des musiques
et des corps (quatre danseurs, un Japonais, une Américaine, une Islandaise, un Sud-africain) est sans doute louable, mais sonne creux. S'il faut appeler cela humanisme, c'est un humanisme mou, bien
éloigné des enjeux contemporains.
Creux aussi le propos, qui s'attarde aux petites fâcheries quotidiennes homme-femme, dont la trivialité s'oppose, sur le mode comique, aux idéaux philosophiques et mystiques transmis par la
musique. Celle-ci, d'ailleurs, ne me convainc guère : son interprétation (par l'ensemble Sarband) est de bonne facture, mais stéréotypée*. Il fut un temps où
j'appréciais ce genre de restitution de la musique médiévale ; aujourd'hui elle me paraît à mille lieues de la réalité et de l'esprit de cette musique ; dépassée. Ce n'est en définitive qu'une
sorte de country contemporaine, avec ses poncifs obligés, comme le son réverbéré façon cathédrale. Et puis, va pour les chansons d'amour profanes, mais que viennent faire ici des chants chrétiens ?
Qu'est-ce que le Kyrie eleison vient faire dans les chamailleries de couple ? Je n'aime pas qu'on utilise des textes sans tenir compte de
leur signification. Pourquoi diable, dans ce contexte précis, Sidi Larbi Cherkaoui prie-t-il Dieu de prendre pitié (c'est le sens des deux mots grecs) ?
Au fond, ce mélange de trivial et de mystique apparente assez Origine aux mystères médiévaux. Mais ici les gros poncifs vulgaires s'enfilent en collier : une apparition furtive de
l'Origine du monde de Courbet (merci, on nous l'a déjà fait), une pensée profonde sur les réseaux informatiques qui nous aliènent, une vision du couple caricaturale jusqu'à l'ennui,
Hildegarde de Bingen en précurseuse du féminisme...
Comme souvent dans une pièce faible ou moyenne (Origine est entre les deux), la danse est souple et fluide, et l'on retient quelques bonnes choses. Et comme tout le monde je retiens la
prestation du Japonais Kazutomi Kozuki, la scène préhistorique avec transfert de peau de bête, le mime.
Tout ceci est donc joli, inoffensif, à même de plaire au plus grand nombre et, de fait, la pièce est ovationnée. Le mieux que l'on puisse souhaiter pour Origine serait de le voir
supplanter les comédies musicales populaires, dont elles remonteraient le niveau. Mais pour de la recherche contemporaine, qui devrait figurer dans les priorités du Théâtre de la ville (formons un
voeu pour l'an prochain), Origine manque singulièrement d'ambition.
* Soit dit en passant : pour les chants d'Orient, je suis un fan de soeur Marie Keyrouz, dont le site permet d'écouter des extraits de l'ensemble de sa
discographie. Si vous ne la connaissez pas encore, courez-y ! Et procurez-vous ses enregistrements de chants byzantins, melchites, maronites les yeux fermés.
♥♥♥♥♥♥ Origine, de Sidi Larbi
Cherkaoui, a été donné au théâtre des Abbesses du 22 au 27 avril 2008.