Je crois qu’elle s’appelait Christel, je ne me souviens plus de son nom. C’était du temps où les filles s’appelaient Stéphanie ou Nathalie ou Valérie, et la seule audace consistait à enlever deux lettres à un prénom pour le rendre original.
Nous avions lu Eugène Savitzkaya cet automne-là, nous avions dix-sept ans. L’auteur nous avais fait l’honneur d’une rencontre, au cours de laquelle il avait lu des passages de son dernier livre. Nous avions ensuite, réparti les thèmes et préparé des petits exposés suite à notre lecture à présenter devant la classe, et ce matin -là, c’était au tour de Christel.
Elle portait un jeans et ses éternelles Converse, un T-shirt blanc, et un gilet noué autour desa taille. Comme nous toutes en pareille posture, à quelques exceptions près, elle n’était pas très à l’aise. Pour autant que je m’en souvienne, l’exposé avait été clair et s’était bien déroulé. Les élèves n’avaient pas eu de questions, et avaient noté de manière positive sa prestation. La professeure avait ensuite donné son opinion.
J’ai complètement effacé de ma mémoire comment elle en était arrivée à commenter la tenue de Christel, qui se dandinait encore d’un pied sur l’autre devant la classe. Comment, et surtout pourquoi. Pourquoi elle avait insisté sur ce gilet sombre noué à la taille, questionné la volonté de masquer les hanches naissantes, et, partant, de se cacher elle-même? Nous étions en 1992 et j’entendis Christel avouer d’une voix blanche devant la classe suspendue à ses lèvres qu’elle se trouvait grosse, qu’elle n’aimait pas ses bras, trop dodus.
Le silence de la classe se fit pesant, les regards baissés. La sonnerie nous délivra toutes. Nous étions au cours de français et une élève venait d’être humiliée non en raison de son travail médiocre mais de son apparence.
Parfois le matin, quand je vois mes bras dans le miroir, je pense à Christel, dix-sept ans.