Titre: Les Baleines Publiques Editeur : Dupuis Auteurs : FRANK & BOM Année : 1987 Résumé : Broussaille, jeune étudiant tout roux, prépare ses examens de fin d'année. Mais un étrange phénomène perturbe notre héros : de curieux rêves nocturnes, maritimes et urbains... en même temps. De hasard en instinct, Broussaille va découvrir un phénomène inattendu. Tout cela malgré son chat qui réclame ardemment sa gamelle de pâtée ! Les Baleines Publiques est le premier tome des aventures de Broussaille. Le jeune héros, qui sévissait dans les pages du magazine Spirou, proposait une alternative aux enquêtes remplies d'action et au génial cerveau brisant toutes les énigmes. Rêveur, fragile, timide, humain, il représente cet anti-héros auquel on aimerait tous ressembler. Ce personnage si doux et si attachant vit, dans ce premier volume, une aventure palpitante, étrange, onirique mais sans violence. La construction des événements laisse la part belle au hasard. Un choix qui peut souvent donner des Deus Ex Machina – comprendre des solutions de facilité semblant sortir de nulle part pour sauver le héros - mais il n'en est rien ici. Car le hasard fait partie de la vie de Broussaille. A l'affût d'une image, d'un moment de magie, curieux de tout - peut-être pas, mais de beaucoup - Broussaille suit souvent son instinct et le hasard. Ce hasard qui lui fait faire de belles rencontres. Et tous ces éléments qui se dressent sur sa route sont autant d'indices, de moments de suspense qui nous entraînent à sa suite. Nous aussi, nous voulons savoir ce qui se cache derrière ces rêves. Comme Broussaille qui ne peut l'admettre au début, nous savons de manière intrinsèque qu'aussi anormal que cela puise paraître, ces rêves ne sont pas le fruit du travail de son inconscient qui fait le bilan de la journée.
Si tout cela ne suffisait pas à captiver le lecteur, Frank ajoute le personnage de Catherine, jeune étudiante issue d'un monde bien différent de celui de notre héros, et qui remonte l'étrange piste non pas par les rêves et le hasard, mais par la réflexion et l'analyse. Nos deux héros vont-ils se croiser ? Partager leurs conclusions ? Découvrir le pot aux roses ensemble ? Je ne vous le dirais pas car, si vous n'avez pas lu cette BD, ne perdez pas un instant. Si vous êtes sensible à la rêverie, aux mystères, aux histoires incroyables de complexe simplicité, cet album est fait pour vous. Si, comme moi, c'est avec une étrange mélancolie au cœur que vous lisez le mot fin de cette histoire, alors précipitez-vous et dévorez les tomes suivants. Le plus incroyable est que les dessins arrivent à une telle fusion entre le réalisme et la stylisation des visages. Nez rond, tignasse ébouriffée volumineuse, grandes lunettes tout aussi rondes, Broussaille est clairement un personnage non réaliste, prenez son corps, ses vêtements, ses poses et vous pourrez les plaquer dans n'importe quelle BD réaliste. Les dessins si travaillés, si finis au niveaux des décors, apportent le rêve par le mélange de cette ville et de la mer. Pour moi, « Les Baleines Publiques » est une BD maritime, par son histoire, mais aussi par son esprit. Broussaille ne navigue pas sur les flots tel Corto, mais en ville, loin de la mer. Pourtant, le jeune étudiant a l'esprit des aventuriers marins, le rêve et la curiosité au cœur, prêt à se laisser emporter par n'importe quel événement pour tomber dans une grande aventure. Les couleurs si apaisantes, si tristes quand la grisaille se répand partout à certains passages de l'album, si sombres quand les cauchemars s'installent, vous restent en mémoire. Dans leur mise en scène, les auteurs se gardent l'espace des planches pour développer des cases d'une page, d'une demi-page. La promenade de Broussaille dans la ville où il laisse voguer son imaginaire se déroule sur des pages de quatre cases. La scène du cauchemar où l'action se fige tout au long d'une page surdécoupée, là les créatures sortent des limites de la case. Si vous gardez l'œil ouvert, peut-être verrez-vous au détour d'une page, dépassant de derrière une case, un poisson, une nageoire... Et cette fin magique... Je pourrais en dire plus mais je gâcherais les mystères et les surprises de cette belle BD. Broussaille ne vous propose pas un voyage immobile, mais nous invite à penser que la magie et l'aventure peuvent se trouver au coin de la rue tout comme au fin fond des mers du Sud. Aujourd'hui, alors qu'on nous ressasse que les héros se doivent d'être trash, violents, vulgaires ou grossiers, que si vous ne respectez pas cette charte, vous faites probablement de la BD Jeunesse, Broussaille confirme qu'il existe une alternative, une VERITABLE alternative. Comme son confrère Jonathan, non-violent, curieux, Broussaille est un rêveur mais dont la plus grande force est de pouvoir nous emmener dans sa rêverie.