Le roman de Lola Lafon commence par l’exploit d’une fillette de quatorze ans, venue défier les lois de la gravité aux Jeux Olympiques de Montréal en 1976. Vêtue d’un justaucorps blanc, Nadia Comaneci, la petite fée des Carpates, effectue un exercice qui laisse tout le monde bouche bée. Pourtant, la note affichée sur le marquoir électronique provoque la stupeur dans le stade olympique : 1,00 ! Les deux mains du président du jury, affichant fièrement dix doigts, enlèvent cependant très vite les derniers doutes : La jeune athlète vient d’obtenir la note maximale, chose impensable jusque-là et d’ailleurs pas prévue par les ingénieurs de Longines au niveau des tableaux de notation. Elle obtiendra sept fois la note maximale… Alors que les Russes et les Américains se disputent la course à l’espace, les Roumains viennent d’envoyer une fillette en apesanteur !
La suite du livre raconte comment la petite communiste qui ne souriait jamais est devenue une athlète hors-normes. Au fil des entraînements spartiates, des souffrances, des blessures chroniques accompagnées d’une surconsommation de médicaments, des privations et des régimes alimentaires inhumains la magie des jeux olympiques s’estompe… l’important n’est peut-être pas seulement de participer ! Des gamines affamées qui comptent chaque calorie et dont les menstruations sont appelées « la Maladie »… où est donc la beauté du sport dans tout cela ?
Très vite, le petit prodige devient également le porte-drapeau du régime dictatorial des Ceausescu. Instrumentalisée, exhibée au bon gré des dirigeants communistes, l’icône de la Roumanie se voit obligée de servir et de promouvoir le système. Sa liaison (forcée) avec le fils du Conducator et sa fuite aux Etats-Unis en 1989, quelques jours avant le renversement du régime Ceausescu, achèvent la transformation de cet enfant prodige adorée de tous en une femme dont les apparitions n’ont plus rien de magique… la petite fille des JO de 1976 n’est plus !
Les allers-retours continus entre le quotidien de la sportive de haut niveau et la dictature des Ceausescu, permet également à Lola Lafon de dresser le portrait d’une société roumaine victime des caprices de ses dirigeants. Du rationnement alimentaire aux espions, en passant par cette « police des menstruations » qui inspecte les femmes sur leur lieu de travail afin de s’assurer qu’elles effectueront leur devoir patriotique, le tableau dépeint par l’auteur n’a rien de réjouissant. En exposant plusieurs versions de cette vérité, elle parvient néanmoins à nuancer certains faits et évite ainsi de se limiter aux clichés occidentaux sur le monde communiste. Outre la version des Occidentaux et celle de la Securitate, Lola Lafon a également la bonne idée de donner la parole de manière fictive à Nadia Comaneci, permettant ainsi à l’héroïne d’apporter un nouvel éclairage sur cette biographie rêvée qui lui est consacrée.
« La petite communiste qui ne souriait jamais » est un excellent roman sur les coulisses d’un sport qui demande beaucoup trop de sacrifices, mais qui dresse également avec brio le portrait d’un régime totalitaire qui crée, exploite et manipule ses championnes… même celles de quatorze ans !