Aucun manuel touristique, et encore moins aucun livre d’histoire à la gloire de Venise, ne vous racontera l’histoire terrible que nous allons vous faire découvrir aujourd’hui.
La Giudecca, Giudèca en vénitien, était autrefois une série d’îles pleines de jardins et de vergers, lieu privilégié pour l’évasion festive des vénitiens, un peu comme Sant’ Erasmo de nos jours.
Puis ce fut l’époque de l’industrialisation, et ces îles sont devenues le siège d’importantes usines, pour lesquelles on a construit, tout au long du XIXème siècle des logements pour les travailleurs. Le capitalisme de l’époque se voulant paternaliste, les ouvriers étaient logés près des lieux de travail.
Puis, après la guerre, ce fut le déclin, et les usines ont fermé les unes après les autres (nous vous reparlerons de ces entreprises, Le Herion, où l’on produisait des tricots, et de l’usine des célèbres montres Junghans, dans de prochains articles).
La Giudecca est devenu un lieu a la réputation sordide, mal famé, un quartier délabré et même infâme, caractérisé par des ruelles étroites et sombre et des palais négligés, envahis par les rats et sans aucune commodités.
Alors, viendra l’époque où les autorités et ceux qui avaient des amis bien placés décidèrent de réhabiliter cette partie de Venise. Pour cela, les habitants pauvres de la Giudecca, seront expulsés en masse et déplacés hors de Venise, dans une ville nouvelle de la banlieue de Mestre appelé CITA.
Et c’est ainsi qu’a commencé l’exode des citoyens Vénitiens.
En témoignage de cette époque, il nous reste une chanson de lutte écrite par Alberto D’Amico, en 1973, que l’on trouvait à la fin d’un un album titré Ariva i barbari.
Dans le texte de la chanson, que nous reproduisons ci-dessous, il est fait mention de "Cipriani qui mange du beef-steak", à propos de Giuseppe Cipriani, entrepreneur, fondateur du Harry’s Bar de Venise , l’inventeur du cocktail Bellini et initiateur d’un empire dans le secteur de la restauration et de l’hôtellerie.
Eriunx et Iunga sont certainement les noms déformés vénitiens de deux usines qui se trouvaient sur la Giudecca : la fabrique de tricots Le Herion, et l’usine de montres et d’armes de la société allemande Junghans.
En vénitien, les ghebi sont des canaux mineurs de la lagune. Mais dans le vers che vegna el prefeto co i ghebi il faut plutôt comprendre "mais que vienne le préfet et les képis" faisant allusion au chapeau, de cette époque révolue, dont étaient coiffés les gardes municipaux. On avait la même chose en France. Ghebi est donc le surnom des vigiles et, par extension, de la police et des gardes, comme cela se comprends dans cette partie de la chanson : i ghebi ti fanno gli occhi neri se ti metti a scioperare (les ghebi te font les yeux noirs si tu fais grève).
C’est à cette époque qu’est apparu également le terme vénitien PUA pour indiquer la Police.
Vous en avez appris des gros mots en vénitien aujourd’hui !
Montage et partage de Denis Silvano Femio
Le montage réalisé par Denis Silvano Femio nous permet de revivre La Giudecca à une époque dont il reste peu de souvenirs, sauf dans la mémoire des plus de 40 ans. Dans la tête de celles et ceux qui ont vécu cette époque dramatique pour beaucoup. De nos jours, La Giudecca est devenu un lieu de résidence à la mode, qui attire dans certains endroits des bo-bos du monde entier, et qui, dans les anciennes usines transformés en appartements, permet à de vrais vénitiens de continuer à vivre dans Venise, mais avec le confort de notre siècle.
Nous en reparlerons…
Giudèca nostra abandonada,
vint’anni de fame e sfrutamento
e adesso s’è rivà el momento
de dirghe basta e de cambià.
’E scole co le pantegane,
’e case sensa gabineto
e quando ti te buti in leto
te sogni sempre de lavorà.
E i fioj se ciàman l’epatite
in mes’ ai pantan de la Giudèca;
Cipriani se magna la bisteca
e da le case ne vò sfratà.
E chi lavora se consuma
da Eriunx a Iunga sui cantieri,
e i ghebi te fa i oci neri
se ti te meti a scioperà.
’E contesse faseva el doposcuola
co ‘a cipria e coi cioccolatini
e el Pro- Giudèca dei paroni
ai giudecchini i g’ha embrogià.
Studenti, donne, operari,
avemo ocupà el doposcuola;
che vegna el prefeto co i ghebi;
no se movemo, restemo qua!
Giudèca nostra abandonada,
vint’anni de fame e sfrutamento,
e adesso s’è rivà el momento
de dirghe basta e de cambià.
Alberto D’Amico – Gualtiero Bertelli – GIUDECCA
Mestre Piazza Ferretto 1 Mai 2011
(Vidéo de Stefano Gersich)