
C’était au tout début du siècle que l’on a entendu parler du projet de Linklater, alors que l’Amérique était tout juste en deuil du World Trade Center. Cela semble encore si proche, et pourtant déjà si loin. Ethan Hawke venait d’être nommé aux Oscars pour « Training Day », et Patricia Arquette sortait du premier long-métrage réalisé par Michel Gondry, « Human Nature ». Je me souviens que régulièrement au cours des douze dernières années, je me suis demandé si Linklater n’avait pas abandonné son projet, où il en était du tournage… Des années au cours desquelles j’ai attendu. Espéré, patient.
Jusqu’au jour où enfin, le film s’est matérialisé. A la fin de l’année 2013, « Boyhood » a été annoncé à Sundance et à Berlin, où il a remporté l’Ours d’Argent du Meilleur Réalisateur. Ça y était. Enfin. Douze années à attendre un film qui n’est pas réalisé par Terrence Malick, habituellement champion des films se faisant désirer. Douze années mettant une pression terrible sur le film. Si jamais le film n’avait pas été à la hauteur de ce projet au long cours, quel impact cela aurait-il eu sur Richard Linklater et sa motivation de cinéaste ? Cette question, nous n’avons heureusement pas à la poser. Car le réalisateur, qui avait déjà superbement expérimenté sur l’art de suivre des personnages grandissant et vieillissant au même rythme que ses comédiens avec sa trilogie « Before » (comme Truffaut avec son Antoine Doinel ou la série de documentaires « Up » de Michael Apted), a magnifiquement utilisé ces douze années.
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« Vie » est un terme crucial, car Richard Linklater a su insuffler à son film un caractère vivant, parsemant le récit d’indices sociétaux, culturels, politiques qui à l’époque où il les a filmés n’étaient que l’actualité du moment, mais qui aujourd’hui se regardent et s’écoutent comme les marqueurs de temps d’une époque, des marqueurs qui s’insèrent avec une évidence due à la nature même du film, tourné « en temps réel », à chaque instant de ces moments dépeints.
Pendant 2h45, on se sent revivre ces douze années écoulées, on se sent impliqué dans le film, dans ces personnages, dans ce qu’ils traversent. C’est leur vie qui se déroule sous nos yeux, et c’est notre vie que l’on ressent en écho. J’ai attendu douze ans que Richard Linklater mène à bien son projet. J’ai grandi, vieilli, vécu plus d’une décennie en guettant son film. Et l’espace de deux heures et quarante-cinq minutes, j’ai oublié que j’ai attendu ce film pendant presque un tiers de ma vie. J’ai vécu une vie de plus. Et j’en suis sorti différent.