Contrairement à mes habitudes concernant cette rubrique, je ne vais pas vous parler aujourd'hui d'une exposition ou d'un monument à voir absolument mais d'une représentation théâtrale. Pas n'importe laquelle néanmoins, puisqu'il s'agit de Lucrèce Borgia, dont je vous avais fait l'éloge il y a quelques temps. Magistralement interprétée par les comédiens de la troupe de la Comédie Française, ce drame romantique est cette fois-ci mis en scène par Denis Podalydès, sociétaire reconnu de la Maison de Molière.
Guillaume Galliène interprète le rôle de Lucrèce Borgia, cette femme impie en quête de rédemption auprès de son fils, alors que la jeune Suliane Brahim joue le rôle de Gennaro. Les deux personnages principaux sont donc joués par des acteurs travestis. Ce choix audacieux de distribution peut créer la surprise chez le spectateur du XXIème siècle mais en réalité il s'incrit dans la pure tradition d'un théâtre plus ancien. En tous cas, les deux acteurs sont exceptionnels dans leurs rôles, plus particulièrement Guillaume Galliène qui transcende le rôle de Donna Lucrezia. Durant toute la durée de la pièce, on oublie totalement que le personnage féminin de la pièce est en réalité interprété par un homme !
Les seconds rôles tels que le Duc Alphonse d'Este, l'époux de Lucrèce joué pour la dernière fois par l'exceptionnel Eric Ruf (qui va devenir l'Administrateur Général de la Comédie Française à la rentrée), ou encore Gubetta, le confident de Donna Lucrezia interprété par Christian Hecq (excellent, comme toujours !) sont loin d'être de simples faire-valoir, ils sont de véritables personnages de premier plan et apportent de la profondeur à la pièce grâce à la qualitée du jeu de ces grands acteurs.
En dehors du jeu des acteurs, la mise en scène de Denis Podalydès brille par la beauté des décors éllaborés dans les ateliers de la Comédie Française ainsi que par les costumes somptueux dessinés par Christian Lacroix. A la fois sobres et raffinés, ces derniers fascinent le spectateur par leur beauté. Quant aux décors, la grande gondole de la scène initiale et les différents fonds de scènes représentants tour à tour le ciel vénitien, le palais ducal ou encore le palais de la Princesse Negroni impressionnent et éblouissent le public tant il est rare de voir un visuel aussi riche et esthétique dans le théâtre moderne. L'ensemble est par ailleurs sublimé par le jeu des lumières composé principalement d'effets de clair-obscur, qui donnent un aspect visuel original. La musique est également soignée et correspond parfaitement à l'atmosphère de la pièce. Il y avait longtemps que l'on avait pas assisté à un spectacle de théâtre d'une telle ampleur et d'une telle qualitée !
Cette mise en scène de Lucrèce Borgia est désormais terminée, mais a bien entendue eu beaucoup de succès auprès du public, si bien que La Comédie Française a décidée de la rejouer pour la saison 2014-2015. On ignore pour le moment si la distribution sera identique en raison du changement de statut d'Eric Ruf au sein de la Maison de Molière, mais je vous conseille d'aller découvrir ou redécouvrir cette pièce qui m'avait déjà faite forte impression au moment de la lecture. La mise en scène ici retransmet parfaitement l'esprit du texte d'origine et est visuellement très belle à voir. Un grand spectacle comme on a malheureusement très peu la chance d'en voir actuellement.
Ce billet est une nouvelle participation au challenge "Théâtre" chez Eimelle.