Le Point.fr - Publié le 28/07/2014
Pour Tahar Ben Jelloun, on ne peut pas reprocher aux Palestiniens de lutter contre l'occupation, et la solution ne peut venir que de la société civile israélienne.
Plus de 1 000 Palestiniens ont trouvé la mort depuis le début de l'offensive d'Israël contre Gaza. © David Buimovitch / AFPPar TAHAR BEN JELLOUNOn apprend l'histoire à l'école, on oublie d'enseigner comment lire l'histoire. Non seulement la guerre actuelle entre Israël et les habitants de Gaza est mal lue, mais elle s'est engagée dans une spirale
sans issue. Un simple constat : jamais une terre occupée, un peuple colonisé ne le sont restés éternellement. Tôt ou tard, les valeurs de liberté, de justice et de dignité l'emportent sur toutes les brutalités, quelles que soient les armes utilisées. Il fut un temps où personne n'aurait osé imaginer une Algérie indépendante ou uneAfrique du Sud débarrassée du système de l'apartheid. Et pourtant l'histoire a été plus forte que l'irrationalité et la prétention des hommes.Une majorité d'Israéliens est persuadée qu'avec la force on peut atteindre la paix. Dominer, humilier, harceler en temps dit normal ne peut qu'exacerber davantage les esprits et installer de manière profonde et irréversible la haine et la détermination à atteindre la libération. Que ce soit à travers un discours religieux ou nationaliste, les populations palestiniennes mènent le combat pour que l'histoire leur rende justice. On peut discuter leurs méthodes, refuser leurs discours, mais on ne peut pas leur reprocher de lutter contre l'occupation doublée d'un embargo inhumain. Certes, le Hamas ne représente pas tous les Palestiniens, mais il existe par la volonté d'électeurs qui pensent que l'occupant ne désire pas la paix, en tout cas pas la coexistence entre deux États. L'Autorité palestinienne a fait tellement de concessions qu'elle se trouve aujourd'hui nue et sans moyens pour reprendre ne serait-ce que les négociations. Israël a assez prouvé par son comportement et par ses choix stratégiques que son désir de paix est un leurre, une illusion à laquelle il ne donne aucune réalité, et qu'il ne fait rien pour aller dans le sens d'un dialogue sincère. Il ne croit qu'à la force et pense qu'avec des massacres, des bombardements des populations civiles, des écoles et des lieux publics, il fera plier le Hamas et fera taire tous les Palestiniens. C'est l'inverse qui se produit : l'ensemble des peuples arabes et musulmans et même une partie de plus en plus importante de la société civile dans le monde, y compris en Israël, sont horrifiés par cette guerre.
Terrorisme intellectuel
Il y a une base juridique à tous ces événements : la résolution 242 des Nations unies que tous les États du monde reconnaissent comme légitime à l'exception de l'État d'Israël. Depuis des décennies, tous les gouvernements qui se sont succédé en Israël ont indiqué que pour que ce soit défini le statut de ces territoires occupés, deux conditions étaient nécessaires : la reconnaissance de l'existence de l'État d'Israël par les Arabes et les Palestiniens, condition remplie par les traités avec l'Égypte et la Jordanie et avec l'Autorité palestinienne. La deuxième condition est l'existence de frontières israéliennes sûres et reconnues et la cessation de tout acte hostile. Israël n'a cessé de coloniser les territoires occupés et d'empêcher, de ce fait, tout accord pour l'existence de deux États. Aucune concession n'a été accordée à Mahmoud Abbas, pas plus qu'à son prédécesseur
Yasser Arafat. Il a construit un mur qui n'a rien résolu. Cela explique le succès électoral du Hamas dans la bande de Gaza. Le Hamas se sert de l'absence de tout résultat tangible dans le processus de paix pour revenir à l'action armée avec des attentats désespérés et des attaques sans efficacité. L'intransigeance de l'État hébreu est directement responsable de la montée en puissance du Hamas et du soutien qu'il rencontre dans la population palestinienne de plus en plus étouffée par un embargo économique, sanitaire et humain que tous les observateurs du monde entier, y compris dans les médias américains peu susceptibles de sympathie excessive pour la cause palestinienne, considèrent comme catastrophique et inacceptable. Israël méprise les nombreuses résolutions des Nations unies, et aucun État, aucune puissance, n'est en mesure de faire pression sur lui. C'est ainsi. Celui qui critique cette politique est traité d'antisémite. Depuis quelque temps, des intellectuels ont entrepris un travail militant pour faire de l'antisionisme une attitude antisémite. Cette équation, qui relève du terrorisme intellectuel, est une défaite de la pensée, un renoncement à l'objectivité. Je suis personnellement contre la politique coloniale d'Israël. Pour autant, je ne suis pas antisémite. C'est me diffamer et m'insulter que de prétendre le contraire. Dans
Palestine, mon pays, le poète
Mahmoud Darwich écrit : "L'Israélien dicte au Palestinien la langue et les intentions qui doivent être les siennes. L'alibi des Israéliens que constitue leur lutte pour la survie exige en permanence que l'autre soit sauvage. Son
antisémitisme doit justifier l'occupation, et toutes les occupations à venir, destinées à consolider les précédentes." (Éditions de Minuit ; 1988.) Cela entraîne la débâcle de la pensée, laissant la place à un discours culpabilisant, manichéen et passionnel.
Politique de deux poids, deux mesures
Les images des centaines d'enfants tués par les bombes israéliennes ont fait le tour du monde, et Israël, malgré ses soutiens traditionnels et automatiques en Europe et aux États-Unis, ne pourra rien pour se laver de ce crime contre l'humanité. On connaît la litanie des dirigeants : la responsabilité de ces morts reviendrait au Hamas qui utilise les populations comme boucliers et lance des roquettes sur Israël. On vient d'apprendre par un dirigeant de la police israélienne que le kidnapping et l'assassinat des trois adolescents n'ont pas été commis par le Hamas, mais par un groupe qui échappe totalement à ce mouvement. Le Hamas aurait dû, comme l'a fait Mahmoud Abbas, condamner ce crime horrible. Mais il a commis une erreur et une faute politiques. Cela justifie-t-il ce que l'armée Tsahal a fait depuis trois semaines, atteignant au 27 juillet 2014 le chiffre fatidique de 1 000 morts ?Il est normal qu'un citoyen français de confession juive se sente solidaire d'Israël. Je ne le lui reprocherai pas. Pourquoi refuser aux Arabes de France d'exprimer leur solidarité avec un peuple qui subit des bombardements de plus en plus meurtriers ? N'en déplaise à Manuel Valls, cette politique de deux poids, deux mesures est, hélas, bien réelle, et si j'étais à sa place, je tendrais l'oreille pour entendre ce que les populations du Maghreb disent aujourd'hui de la France et de ses dirigeants. Politique à courte vue. Pas de vision. Tout cela est bien navrant. Dans une interview récente au
Nouvel Observateur, l'historien israélien Zeev Sternhell pense que "la droite israélienne est porteuse d'un désastre sans nom qui est en train de s'abattre sur nous. [...] Elle veut conquérir la Cisjordanie sans le dire tout en l'annexant. Elle veut que les Palestiniens acceptent de leur propre chef leur infériorité face à la puissance israélienne."L'espoir de sortir de cet enfer, même s'il est mince, viendra de l'intérieur d'Israël, de la société civile, lucide et courageuse.