Jean-Claude Martinez : «La plupart des parlementaires européens ne servent pas à grand-chose»

Publié le 29 juillet 2014 par Lecriducontribuable

 Nous diffusons dans son intégralité l’entretien que Jean-Claude Martinez nous a accordé à l’occasion du numéro de juin/juillet des Enquêtes du contribuable consacré à «L’argent des partis politiques». 

En 2011, le Sunday Times a proposé à une soixantaine de députés européens de se laisser corrompre et une quinzaine aurait accepté de l’argent. Pensez-vous que le Parlement soit corrompu ?

Tout cela c’est des sottises. Il n’y a rien à corrompre financièrement au Parlement, car les décisions majeures ne sont pas prises par les députés. Et la corruption majeure n’est pas financière. Elle ne passe pas par le portefeuille, mais par la tête, par l’âme. C’est la tête des décideurs, y compris des électeurs, qui est corrompue par des idées fausses, des idéologies, des clichés dévastateurs : la décentralisation, l’équilibre budgétaire, la progressivité de l’impôt, la retenue à la source, l’Etat en faillite, la conquête des marchés, la performance, l’élection du président de la République au suffrage universel direct ou la réduction des droits de douane, voilà des idées qui ont corrompu les intelligences et qui font des dégâts terribles. La véritable corruption n’est pas là. Elle est, par exemple, à la source, dans le financement public des partis politiques.

Savez-vous que l’Etat distribue tous les ans 70 millions d’euros aux formations politiques ? Par exemple, Marine Le Pen encaisse 15 000 euros par jour de financement public, sans parler des indemnités mensuelles des parlementaires, des conseillers régionaux.

La corruption démocratique, c’est, par exemple, aux élections européennes 300 000 euros donnés à chaque liste des grands partis et pour chacune des huit régions où ils se présentent. Soit, de l’ordre de 2,4 millions pour l’UMP Copé, 2,4 millions pour le PS Cambadélis, 2,4 millions pour le FN Marine Le Pen, et autant pour chacun de ces membres de l’oligarchie des partis de « la bande des vains ».

De 2004 à 2009, j’ai connu une députée française qui a siégé 0 seconde en commission en 5 ans, pour encaisser 5 500 euros mensuels.

Tout de même, certains députés européens encaissent une prime d’assiduité parlementaire alors qu’ils ne mettent pas les pieds en séance…

Oui. D’abord, comme les séances plénières du Parlement européen ne décident de rien, et que les députés PS, PPE–UMP, Verts, libéraux, centristes… obéissent aux ordres des partis qui obéissent eux aux ordres de l’exécutif, qui obéit lui aux ordres des médias, qui obéissent eux aux ordres des lobbys économiques, sexuels et sociétaux, que les députés soient là ou pas, ça ne change presque rien. De fait une séance de discussion plénière au Parlement se déroule devant une vingtaine de députés sur 750 et si c’est la nuit, il y en a une demi-douzaine. Voyez les photos de mon livre « L’Album secret du Parlement européen » et vous verrez de vos yeux l’hémicycle vide aux séances de nuit.

De 2004 à 2009, j’ai connu une députée française qui a siégé 0 seconde en commission en 5 ans, pour encaisser 5 500 euros mensuels. J’ai même connu un parlementaire dont je ne citerai pas le nom qui s’était fait domicilier dans le sud de la France alors qu’il résidait à Strasbourg, ce qui lui permettait de se faire rembourser des frais de déplacement alors qu’il n’avait qu’à traverser la rue pour assister aux séances. Certes, c’est spécial, mais c’est du petit trafic, sans grand intérêt. La véritable corruption est ailleurs.

Par exemple dans la décentralisation car, partout dans le monde (voir l’Espagne ou lire chaque année les rapports d’observation des chambres régionales des comptes en France), dès qu’il y a décentralisation ou régionalisation, il y a corruption. Le principe d’autonomie territoriale est en tout pays le vecteur de tous les gaspillages et malversations.

Dans un mois, L’Harmattan sort l’ouvrage collectif de 30 auteurs de tous les continents que j’ai dirigé. On y voit l’universalité du couple décentralisation-corruption. La vraie corruption, il faut la chercher installée du côté des exécutifs locaux avec une fonction publique de 1,4 million d’effectifs, sous-compétents, sous-présents, avec la caricature des polices privées du maire, appelées polices municipales, qui ne servent qu’à jouer à vélo, avec un habit de policier distribué par le Père Noël politique.

A quoi servent les députés européens ?

La réponse est variable. Pour la plupart des parlementaires,  à pas grand-chose. Ils arrivent à Strasbourg, une semaine par mois, le mardi matin et repartent le jeudi à 13 heures pour les plus consciencieux. Voire le mercredi pour les vedettes des partis qui vont jouer à la télévision.

Alliot-Marie, Mélenchon, Rachida Dati… Le Parlement européen, c’est pour eux un Resto du cœur 4 étoiles, c’est les ASSEDIC.

Dans les faits, le Parlement européen fonctionne avec 80 députés environ qui vivent ensemble du lundi au vendredi matin, en commissions, en voyages intercontinentaux  épuisants, dans les couloirs, à la cantine, en réunions et qui finissent par se respecter comme des pros, indépendamment  des étiquettes. Cent fois en 20 ans, j’ai été intégré à des délégations sur un contingent de Verts, de PPE espagnol, ou de tout autre groupe politique, parce que Lipietz [ancien député européen Verts, ndlr], un sicilien socialiste ou un président de délégation espagnole, me laissait une place sur la base de la compétence. Mais sur le fond, la majorité des élus sont des dilettantes. Ils se contentent de répéter ce que la Commission ou leur gouvernement leur demande de dire.

Après les élections européennes de mai, on va voir débarquer au Parlement des gens comme Alliot-Marie, Mélenchon, Rachida Dati… Que voulez-vous en attendre ? Leur tête, leur vie, leur carrière, sont ailleurs. Le Parlement européen, c’est pour eux un Resto du cœur 4 étoiles, c’est les ASSEDIC. Ils vont, 6 heures par mois, réparties en trois fins de matinée, de 11h30 à 13h30, voter à partir de feuilles de vote écrites en anglais et rédigées par une jeune fille ou un jeune garçon engagés comme assistant pour 3 000 euros par mois, sur deux critères majeurs : militant et sexuel. Les coulisses humaines du Parlement, c’est aussi cela. Chaque fois qu’un électeur vote pour une vedette médiatique, il vote pour un branleur politique qui n’ira jamais dans une des 17 commissions.

Je me répète. Rachida, Marine et autres stars n’ont jamais vu une commission du Parlement. C’est pourtant là que se fait le seul travail sérieux. Pour être respecté à Bruxelles, il faut travailler dans ces 17 commissions. Une à plein temps, une autre en coup de vent. C’est là que l’on trouve les vrais techniciens. Or au Parlement, il ne se fait que de l’hyper technique. A la commission agricole, il ne faut pas conduire un tracteur ou semer du soja. On traite de négociations planétaires, de lignes de tarifs douaniers, de brevets sur le vivant, d’épizooties. Des sujets inaccessibles à 80 % des députés que les électeurs élisent sur étiquette ou parce que « vu à la télé ».

Il y a quatre types de députés européens. D’abord « les transhumants » qui sont là de passage : Rachida Dati, Kouchner, Raffarin, Vincent Peillon, Brice Hortefeux, Harlem Désir, Jack Lang, Mélenchon, Marine Le Pen, sont ou ont été là en attendant autre chose. Ensuite « les finissants ». Ils sont là avant de mourir politiquement : Alliot-Marie le 25 mai, Rocard en 2004, François Guillaume ancien ministre de l’Agriculture, Debatisse [secrétaire d’Etat aux Industries agricoles et alimentaires du gouvernement Barre, décédé en 1997, ndlr]. Après, « les décorants » [sic]. Ils sont là pour faire joli : Vatanen le champion de rallyes automobiles, Nana Mouskouri, d’Aboville, le rameur, le Professeur Cabrol, ou, à Paris, David Douillet. Puis « les militants ». Ce sont les fourmis, les tâcherons, les porteurs de bidons, les anciennes maîtresses, les anciens amants. Les caciques des partis les ont mis là par pitié, par condescendance, pour les récompenser ou avoir encore un esclave sous la main pour le mépriser, le tenir, se sentir important. Enfin, il y a les compétents. Les plus rares. Ce sont eux qui sont les vrais députés.

Pensez-vous qu’il y a trop de parlementaires européens ?

Non. 751 députés pour 500 millions d’habitants, ce n’est pas excessif. Le problème européen ne réside pas dans les élus mais dans les électeurs, dans cette corruption des esprits qui marque les limites de la démocratie et qui permet d’envoyer une majorité de parlementaires incompétents, inadaptés à Strasbourg.

Le véritable Parlement est situé à Bruxelles et l’on vient faire joujou trois jours par mois à Strasbourg pour faire plaisir à la France.

Faut-il regrouper les représentations de Strasbourg et de Bruxelles pour limiter les coûts ?

C’est déjà le cas. Le véritable Parlement est situé à Bruxelles et l’on vient faire joujou trois jours par mois à Strasbourg pour faire plaisir à la France. Cette bipolarité résulte d’une erreur historique car, depuis 1951, la France de Pierre Pflimlin [président du Conseil sous la IVe République  et maire de Strasbourg  de 1959 à 1983, décédé en 2000, ndlr] et des centristes a refusé d’accueillir l’ensemble des instances européennes.

Aujourd’hui, le budget du Parlement européen, c’est 1,5 milliard d’euros par an et environ 8 000 personnes travaillant dans cet environnement. Ici comme ailleurs, on privatise à tout va, même les contractuels serveurs des restaurants du Parlement et les chauffeurs, qui sont jetés au chômage, durant l’été et toutes les vacances.  Sous la présidence du socialiste allemand Martin Schultz, qui a la tête de Lénine, le petit personnel du Parlement gagne 1200 euros par mois, avec mise en chômage technique 3 mois par an. Voilà l’Europe sociale des listes de gauche.

Le budget européen  vous semble-t-il excessif ?

Non, c’est tout l’inverse. Le budget européen est aujourd’hui  de 137 milliards d’euros, contre 800 milliards pour le budget des USA ou 300 milliards pour le budget de la France. Il faudrait  qu’il atteigne 500 milliards d’euros pour que nous disposions de moyens pour construire des TGV Paris-Varsovie, Bordeaux-Helsinki, des instituts européens formant aux métiers du vieillissement, des labos de recherche sur la régénération neuronale, micro-vasculaire…

La vraie révolution fiscale du XXIe siècle : l’imposition planétaire des sociétés multinationales, Boeing, Caterpillar, Total, du Dow Jones et du CAC 40.

Comment financer cette hausse du budget européen ?

Grâce à un impôt européen sur les sociétés multinationales, les Google, Amazon, Starbucks et autre Yahoo, qui aujourd’hui, en toute légalité, échappent à l’impôt. Avec cet impôt, les PME pourraient voir leur impôt diminuer de 30 %. Ce que la Commission européenne  a fait de mieux durant ces dernières années  c’est de définir une assiette commune consolidée pour l’impôt des sociétés (ACCIS). Il faut que les entreprises effectuant des opérations dans plus d’un Etat membre au sein du marché intérieur soient imposées sur la base d’une ACCIS couvrant l’ensemble de leurs activités dans l’UE.

Pour le moment ces multinationales ne paient pas d’impôts parce que certains pays, comme l’ Irlande ou le Royaume-Uni, s’y opposent. Tout comme ils s’opposent à l’instauration d’une taxe sur les transactions financières. Il faut saisir l’occasion de l’accord de partenariat transatlantique sur le commerce et l’investissement, pour exiger d’y inclure la technique fiscale ACCIS . C’est la vraie révolution fiscale du XXIe siècle : l’imposition planétaire des sociétés multinationales, Boeing, Caterpillar, Total, du Dow Jones et du CAC 40.

Que préconisez-vous en matière d’immigration illégale ?

On peut construire des murs de plus en plus haut dans des enceintes comme celle de Melilla mais cela ne servira à rien sur le long terme. Le limes romain sur le Rhin a été franchi une nuit de la Saint-Sylvestre du Vesiècle. Le Rhin a gelé et les chariots de feu des Vandales, des Goths, des Alains, les Maghrébins et subsahariens de l’époque, ont déferlé et rasé Rome.

Un jour de 2035, la dernière goutte et le dernier mètre cube de gaz sortiront du Sahara, et les 50 millions d’Algériens basculeront sur l’Europe. On fait quoi en attendant ? Des murs de papier ? Des proclamations de souveraineté ? Des élections ? Des débats à la télé ? Moi, ancien membre du Parlement Europe-Méditerranée, je propose vite deux révolutions.

D’abord, une Communauté méditerranéenne de destin, avec un Haut secrétariat à Malte, un budget de la Méditerranée, financé aussi par la rente pétrolière, gazière, phosphates et la réorientation des crédits jetés aujourd’hui dans les cataplasmes des politiques de la ville.

Là, on aura le bon cadre institutionnel pour tout traiter globalement : affaire du Sahara marocain, Palestine, intégration raisonnable du Maghreb pour qu’ils se développent enfin, bases de l’islamisme et tarissement des causes de la submersion migratoire. Ensuite et en même temps, changer toute la donne démographique par la plus grande révolution politique de tous les temps : l’alliance de civilisation Europe – Amérique latine.

Vous êtes partisan de ce rapprochement entre l’Europe et l’Amérique du Sud. Pourquoi ?

Parce qu’il s’agit de la même civilisation. L’Amérique latine et l’Europe sont les deux rives de la même civilisation, les deux travées de la même cathédrale. Ce serait une erreur  criminelle pour l’Occident chrétien de ne pas suivre la voie du conclave élisant un pape italo-argentin. Vite, très vite, il faut intégrer les deux pyramides démographiques inversées des deux rives latines. Intégrer nos richesses complémentaires. Intégrer vite nos universités.

La base existe : le Parlement Europe-Amérique Latine, j’en ai été un des fondateurs à Lima et un des vice-présidents. Nous avons la même culture, la même langue latine, la même religion, les mêmes défis. A 1000 millions de chrétiens dans un bloc politique, tout est changé. Les 120 millions de musulmans de l’Afrique du Nord seront une goutte d’islam dans notre nouvel empire d’un milliard de chrétiens.

Mon ami Chavez était pour, Bachelet sera pour, Evo Morales sera pour, même le Mexique peut encore être récupéré avant qu’il ne bascule, absorbé par l’empire anglo-saxon. Voilà le véritable enjeu de l’élection du 25 mai [les élections européennes, ndlr], une alliance de civilisation, parce que le temps terrible des empires est revenu avec la Chine et les Etats Unis. Vite allons d’ici 2025 à la vision d’un empire latin et chrétien Europe-Amérique latine.

Propos recueillis par Didier Laurens.      

« L’argent des partis politiques », Les Enquêtes du contribuable juin/juillet 2014 –68 pages, 3€ 50. En vente en ligne sur www.contribuables.org/boutique.