ABBAYE DE JUMIEGES (Seine-Maritime)

C'est un endroit magnifique et émouvant. Il est rare qu'un monument religieux soit conservé dans ses ruines. La promenade est étrange, voire romanesque.

L'abbaye Saint-Pierre de Jumièges a été fondée par Saint Philibert, fils d'un comte franc de Gascogne vers 654 sur un domaine du fisc royal à Jumièges.

Le 24 mai 841, le monastère carolingien est incendié par les Vikings une première fois, puis ils viennent à nouveau pour piller. Devant la menace scandinave, les moines s'exilent, emportant les reliques et les manuscrits les plus précieux et abandonnent l'abbaye cinquante ans au moins jusqu'au début du Xe siècle.

Sous l'impulsion de Guillaume Ier de Normandie, l'abbaye est rétablie par des moines venant de l'abbaye Saint-Cyprien de Poitiers : vers 934, les bâtiments sont sommairement restaurés pour accueillir douze religieux.

L'abbé Robert de Jumièges fait reconstruire le monastère (1040–1052). Le 1e juillet 1067, l'archevêque de Rouen consacre solennellement la grande église abbatiale de Notre-Dame de Jumièges, en présence du duc de Normandie Guillaume le Conquérant et de nombreux prélats, dont tous les évêques de Normandie.

Quelque temps après l'intégration de la Normandie au domaine royal, le chœur roman de la grande église abbatiale est reconstruit en style gothique (vers 1267–1278). Il fallait ajouter des chapelles rayonnantes et amener la lumière dans un édifice sombre, jugé vétuste, et qui n'était plus au goût du jour. La communauté pouvait se permettre de telles dépenses car, à ce moment, elle vivait une période de grande prospérité. Près de la moitié des 400 manuscrits dont dispose la bibliothèque date de cette période.

En 1431, l'abbé de Jumièges, Nicolas Le Roux, prend une part active au procès de Jeanne d'Arc. Son avis sur la culpabilité de la pucelle trahit les anxiétés de sa conscience. En effet, il jugeait la cause très ardue et ne se détermina en sa défaveur que par crainte du pouvoir anglais mais également de l'autorité des docteurs de Paris dont il devait suivre les avis.

Pendant les guerres de Religion, l'abbaye est à nouveau mise à sac. Les Huguenots, qui ont ravagé Rouen, Dieppe, Le Havre, Caudebec arrivent aux portes de Jumièges. Les religieux, ayant appris le sac de Caudebec, quittent l'abbaye. Les autels sont renversés, les vases sacrés volés, les images brisées, les saintes reliques jetées au feu. Châsses, ornements, linge, argenterie, meubles, tout est détruit ou emporté. Le plomb dont l'église et le cloître étaient couverts, l'étain, le cuivre, les provisions en nature, vin, blé, bestiaux, tout, jusqu'aux livres de la riche et magnifique bibliothèque et aux archives du chartrier sera la proie des pillards. Dix-sept religieux seulement retournent à Jumièges et remettent un peu d'ordre dans l'abbaye dévastée.

À la Révolution, comme bien des bâtiments religieux, l'abbaye est vendue au titre des biens nationaux. En 1795, le premier acquéreur, Pierre Lescuyer, receveur des biens nationaux, entreprend immédiatement la démolition du cloître du XVIe et du dortoir du XVIIIe siècle. En 1802, le nouveau propriétaire, Jean-Baptiste Lefort, un marchand de bois de Canteleu, fait exploser le chœur. L'église connaît un lent démembrement et sert de carrière de pierres, comme les autres parties de l'abbaye jusqu'en 1824. Les fresques ont été effacées par l'action des éléments.

Nicolas Casimir Caumont, qui épouse la fille de Jean-Baptiste Lefort, habite l’abbaye de Jumièges dont il devient le propriétaire à la mort de son épouse et la sauve d'une destruction certaine. Maire de Jumièges, ancien président de la chambre de commerce de Rouen et du tribunal de commerce, président du conseil d'administration de la banque de Rouen, vice-consul du Brésil et du Portugal, ancien conseiller municipal de Rouen, il met toute son énergie pour sauver le monument et le mettre en valeur. Nicolas Casimir décède à Jumièges en 1852. La famille Caumont met alors en vente l’édifice...

La famille Lepel-Cointet rachète l'abbaye en 1852 et commence à sauver les vestiges. Avec la mode romantique, l'église connaît une renommée importante grâce à Victor Hugo qui parle d'elle, à l'historien Robert de Lasteyrie qui la qualifie d'« une des plus admirables ruines qui soient en France » ou encore de Roger Martin du Gard qui lui consacre une thèse.

L'abbaye de Jumièges redevient propriété de l'État en 1947, puis propriété du département de Seine-Maritime en 2007.

La façade occidentale de l'église présente un Westwerk, réminiscence dans l'art roman d'une disposition carolingienne, rarissime en France mais commune en Allemagne, d'où son terme technique allemand. Il est encadré de deux tours à peu près symétriques de 46 mètres de hauteur, polygonales dans leur partie supérieure, en retrait.

Visitée en 2012

D'après Wikipédia