Sauf que ce lundi-ci, c'est moi qui prends la leçon.
Grâce au "Dictionnaire du nouveau français" que propose Alexandre des Isnards (Allary Editions, 528 pages).
A tout dire, quand j'ai vu arriver le bouquin, j'ai cru m'étrangler. Quoi? Tous ces mots venus notamment de l'anglais, qui me donnent de l'urticaire, seraient dans un dictionnaire et composeraient le "nouveau français"? Naaan, pas à moi.
Mais à l'examen, il s'agit surtout pour l'auteur de renseigner sur ces nouveaux mots qui nous envahissent, de les traduire, tout en gardant bien présent dans sa tête notre chère langue française. Le dico commence par exemple par "#" (hashtag), ce symbole qui fait de vous un vrai usager de Twitter. Au hasard des 500 pages, on croisera "c'est abusé (sic)", "ambiancer", "se backuper", "personal branding", "confusant", "faire son deuil", "forwarder", "impacter", "monitorer", "prioriser", "surkiffer"... Assurément, on est dans le monde d'aujourd'hui. Rien que d'écrire certains de ces mots ou expressions, j'en ai les cheveux qui se dressent. Mais je reconnais que d'autres pages m'ont fait sourire, ou carrément enchantée.
Alexandre des Isnards.
En tout, ce sont 400 nouveaux mots qu'a réunis pour ce dico Alexandre des Isnards, spécialiste de ce genre de travail. "J'ai déjà fait des collectes de mots lors de mes deux précédents livres", m'explique-t-il, lors d'un passage à Bruxelles, "L'open space m'a tuer" (Hachette littératures, 2008) et "Facebook m'a tuer" (Nil, 2011)." Ces deux ouvrages ont été publiés dans deux maisons d'édition différentes de celle où paraît son troisième livre du genre, pour la bonne et simple raison qu'il a suivi son éditeur, Guillaume Allary, dans sa nouvelle maison, qui porte son nom."Je suis choqué par les termes utilisés en entreprise", reprend le collecteur. "Mes glossaires précédents m'ont servi de base pour la partie consacrée à l'entreprise de ce nouveau livre." Les autres parties ont été conçues autrement, on le verra plus loin.
Alexandre des Isnards se considère comme "un autodidacte dans le domaine des mots". Immédiatement, on rêve que tous les lettrés diplômés soient alors autodidactes comme lui.
"J'ai fait Sciences Po à Paris, mais après avoir fait une licence d'histoire et de géographie à Nanterre. Pour obtenir un Deug (les deux premières années d'études universitaires), j'ai fait Hypokhâgne et Khâgne Lettres modernes, deux années de prépa littéraire intense, que j'ai beaucoup aimées, sauf que la seule issue me semblait d'être professeur. Et je n'ai pas eu envie d'être professeur. Quant à Sciences Po, c'est une école généraliste, considérée comme littéraire par rapport aux écoles de commerce. Elle mène à tout et à rien. Elle fait partie de ce qu'on appelle les "grandes Ecoles". J'ai trouvé mon séjour dans cette école frustrant car on avait la chance de croiser plein de personnes (conférenciers, enseignants) sans avoir le temps de leur parler, d'approfondir tellement nous étions soumis à un contrôle continu sous forme de fiches de lectures, d'exposés, et d'examens de toutes sortes qui nous accaparaient comme des jeunots. J'en ai acquis une méthode (synthèse, plan…)."
On la voit tout de suite la méthode. Sur 20.000 nouveaux mots qui apparaissent chaque année, un chiffre énorme car il tient compte des notices technologiques que l'usager du français courant ne voit jamais, 400 à 500 rentrent dans les usages. Et entre 50 et 100 de ceux-ci sont avalisés par les dictionnaires classiques, comme le Larousse, le Robert ou le Littré. Où vont les autres?
Alexandre des Isnards a attrapé 400 mots nouveaux avec son lasso - certains figurent aussi dans les dictionnaires de référence, mais ce n'est un crime. Pour chacun d'eux, il donne une définition brève, suivie d'une explication détaillée et précise, sur l'origine ou la genèse du mot, souvent assortie de citations. Le tout est suivi d'un ou plusieurs exemples, venus en grande majorité d'Internet. "Toutes les citations sont reproduites avec l'orthographe et la syntaxe de leurs auteurs", précise-t-il prudemment.
Lire l'ensemble de cet épais recueil est une opération passionnante tant il est documenté et chaque fois bien étayé. On peut aussi y piquer au hasard. Ou l'utiliser comme un dictionnaire. Je l'avoue, certains des "nouveaux mots" rencontrés ont parfois fait de moi une rebelle. Pour la bonne cause, celle de notre belle langue. Mais ce livre est un travail de pro, riche et joliment troussé.
Comment a procédé l'auteur pour choisir ceux-là et pas d'autres? "J'ai envoyé des demandes à mes connaissances", explique-t-il en souriant. "Forwardez-moi vos expressions les plus impactantes. Internet a changé nos mots. On écrit davantage, mais des mots pour aller vite. Mon point de vue est celui de la curiosité sociologique." Et sa cible, les seniors qui essaient de comprendre ce qui se passe ou se dit autour d'eux.
Quand les réponses sont arrivées, il en a fait un panier qu'il a proposé à la réflexion: "Qu'en pensez-vous ? Je voulais essayer de créer une dynamique positive et de donner des exemples traduits en français académique. On est submergé par l'anglais aujourd'hui, c'est inévitable." Mais, sans en avoir l'air, il "utilise d'anciens outils pour redresser la langue obsolète maintenant." Comme l'"oxymore", le "faux ami", l'"acronyme" (comme ASAP), à ne pas confondre avec le "sigle" (ONG par exemple).
"Je n'ai pas eu l'idée de faire un livre satirique", ajoute encore l'auteur, "mais de répondre à la curiosité des gens sur la plupart de nos mots". En parcourant son dico, on fait des découvertes, avec lesquelles on se sent plus ou moins en harmonie. J'ai adoré rencontrer le mot "capillotracté" (tiré par les cheveux). Lui préfère "vapoter", "que je trouve joli, explicite, qui sonne français". Ou "plussoyer" "que j'aime bien aussi et sonne plutôt vieux français alors qu'existe aussi le très moderne "espace 2.0"."
Du côté des mots créatifs qui tiennent la route et qui ne viennent pas de l'anglais, on remarque "rageux" qui s'adresse aux commentateurs pénibles.
"J'ai fait un constat des usages, un travail de dépollution du langage", conclut Alexandre des Isnards.
Son excellent "Dictionnaire du nouveau français" fait en plus une étude sociologique de notre petit monde branché et/ou contemporain.
Son éventuelle réédition serait complétée de nouvelles formules à adresser à [email protected]