Les éditions Joca Seria publient Archives, pour un monde menacé d’Anne Waldman, traduit de l’anglais (États-Unis) par Vincent Broqua.
Elle envoya un message à la Base, quoique vous me fassiez, apprenez ceci
J’ai appris ceci de Derrida
l’Archive est un refuge
l’Archive est la voix sans corps d’une conscience palpable
l’Archive est un rêve désordonné
l’Archive a besoin de la poésie ne l’oubliez jamais
l’Archive est une inscription
l’Archive raconte plein d’histoires
je suis archonte
et la moindre carte postale est une Archive
quand on reviendra à notre discours
et que l’on édifiera notre propre pays
prenez ceci comme un précepte :
la mémoire d’un animal est également la nôtre
Archivez tous les pouces opposables dont on a la liste
et de nombreuses formes de la sagesse
le murmure de l’Archive circule dans la pièce
l’Archive laisse les originaux respirer
on ne peut forcer l’Archive
c’est une étrange cosmologie
l’Archive est l’antithèse d’une guerre à la mémoire et du vol du feu poétique
l’Archive est la douce empreinte des pas
l’Archive se refuse à piétiner les empreintes des plus vulnérables
l’Archive est une responsabilité
laissez l’Archive enregistrer le nom de ceux qui sortent de ce monde
Tristan l’Albatros
tous disparus
tous suicidés
l’Archive écoute aux marges
l’Archive est une topologie privilégiée
l’Archive propose une carte du futur au-delà des exigences des médias électroniques qui ont transformé la réalité relative de l’homo sapiens sapiens
Si vous êtes bon à cela, veuillez mémoriser
êtes-vous bon à cela ?
mémorisez l’Archive
impossible de préserver l’Archive des conflits composites
[Prenez le contrôle intellectuel de la collection.
Prenez en compte l’espérance de vie des bandes magnétiques.
Des tuyaux d’eau passent par l’espace de stockage : les matériaux sont hébergés dans une plaine d’inondation formée il y a cent ans soumise aux aléas environnementaux, aucune maîtrise sur le climat.
Sécurité : de multiples clés pour sortir du lieu de stockage, l’espace n’est pas sûr – les murs ouverts au niveau du plafond peuvent être éventrés facilement.
Des collections numériques sur CD menacées à cause de la défaillance des disques et de l’obsolescence des équipements…]
l’Archive est hébergée par des êtres de connaissance, elle les réanime
l’Archive est un nid, une maison, une rêverie
l’Archive te tiendra
« et le vers provient (je le jure) du souffle… »
l’Archive est une aubade, alba, Tagelied
séduction,
Mnémosyne
l’Archive meurt et l’Archive ne meurt pas
qui consacre sa vie à pousser les boutons pour installer les implants de l’Archive ?
un agent lointain, une forêt, une montagne à gravir, un coucher de soleil orangé
un tissu pour le corps
des cordes solides pour ficeler et porter
de la dynamite et une Application pour la composition du sol,
une App pour lire les constellations du ciel
la lune un ongle au-dessus de vous une modeste proposition
parfois une bête sauvage sur la toundra se souvient d’une vie antérieure
et un albatros traversa ton ombre un jour que tu étais en mer
Tristan dont le nom signifie tristesse partit en quête du Graal
et but le philtre d’amour
Tel est le test sublimé de l’identité future
Anne Waldman, Archives, pour un monde menacé d’Anne Waldman, traduit de l’anglais (États-Unis) par Vincent Broqua, éditions Joca Seria, 2014, pp. 119-121.
Bio-bibliographie d’Anne Waldman
Dos du livre :
« Archives, pour un monde menacé. Dès le titre de ce premier livre d’Anne Waldman en France, recueil de textes tirés de quatre volumes, un paradoxe : les archives ne sont pas le résidu d’un monde qui aurait péri, ni ce qui resterait simplement du passé. Elles sont « pour » le monde, contre les menaces qui pèsent sur lui, déjà une réponse, une force, un mouvement. Suivre l’animal, défaire la noce, entreprendre un lointain voyage, tramer une science-fiction poétique : tel pourrait être un intitulé succinct de chaque partie du livre. Remuons les archives. Quels sont ces documents donnés à lire, ces papiers, ces images, ces voix ? Suivons d’abord, sur une carte du déchet, le lamantin et son revers, une humanité souvent lamentable : un « courant sous-terrain » bouddhiste porte ce premier mouvement et lance le livre. Prenons ensuite forme humaine, marions-nous, et écoutons notre langage trébucher quand tout se répète. Le troisième temps est celui du voyage en Indonésie, vers les temples, l’architecture et la musique. Enfin, le dernier mouvement du livre nous plonge dans le combat des Anne, femmes doubles, contre les Décideurs qui veulent boucler le langage. Les archives d’Anne Waldman font un livre qui tient dans le chant de ses parties. Les territoires et les questions ici parcourus sont vastes : de l’Asie aux États-Unis, en passant par l’Europe, des espèces en voie de disparition à l’obsolescence programmée de la civilisation technologique, en passant par les formes menacées du langage. »