Un peu plus loin, on nous parle de cette fille, qui file comme le vent sur sa bicyclette, dont les pieds semblent voler sur les pédales et dont tout le monde connaît bien le vélo tant on l’a vue traverser à toute allure le village. Et gare à celui qui se moquera, même des années après, lorsqu’elle est une vieille, car derrière cette insouciance qui pédale plus vite que le vent se cachent bien des blessures.
Plus tard, on voit cette femme qui vole, tout doucement, dans les airs... Et cette vieille femme qui n’a qu’un souhait: faire une prière sur la tombe de son fils. Y arrivera-t-elle? Ou cette autre, encore, harcelée par ces cafards énormes, dégoutants, qui surgissent de partout et qui lui montent dessus, et qui cherche la vision réconfortante de son mari, que lui arrive-t-il exactement?
Caneno Bello, lui, a bien décidé que sa bien-aimée ne devait laisser personne entrer dans sa vie, et surtout pas cette Ariabelle, il s’en chargera personnellement. Et au fait, méfiez-vous des belles robes d’époques dans les magasins, elles peuvent renfermer des souvenirs bien plus envahissants que prévu.
Je suis assez exigeante en matière de nouvelles. Celles-ci, que je n’ai pas toute résumées mais uniquement celles qui m’ont le plus marquée, m’ont réellement fait passer un bon moment. Certaines maîtrisent parfaitement l’art de la chute en camouflant leur réel sujet de manière particulièrement sophistiquée. A partir d’un sujet particulièrement reconnaissable, presque banal, on construit tout un univers imagé qui va très loin et qui donne la parole à des protagonistes qui en temps normal ne l’aurait pas, renversant complètement notre manière de percevoir les choses. C’est assez bluffant d’inventivité et toujours flatteur pour le lecteur qui se rend compte qu’il avait, en fait, compris pas mal de choses. Certaines, comme celle de Caneno Bello, méritent même une relecture éclairée pour mieux comprendre qui se cachait réellement derrière les personnages déformés par le point de vue choisi.
Certaines sont aussi particulièrement émouvantes, et ce sont d’ailleurs souvent les plus simples. Une mère face à la tombe de son fils, à qui l’on refuse une dernière prière à son fils, ou encore toutes les blessures que cache la vivacité du vélo qui file comme le vent: ce sont là des nouvelles où, finalement, il ne se passe pas grand-chose mais qui n’en ont que plus de résonnance, plus d’impact. On se contente de placer là un personnage et de décrire une petite situation qui fait ressortir toute l’émotion enfermée et contenue au travers de quelques actes minimes: un tour à vélo, une prière. Grands effets avec peu de moyen, c’est là l’essence de la nouvelle et celles-ci relèvent le défi haut la main. Dans un autre registre, la nouvelle de la terrifiante poupée qui ne cesse de répéter ce que dit la petite fille, qui se contente de mettre en image et en histoire des cauchemars aussi identifiables qu’inexplicables sans chercher à les analyser, fait froid dans le dos.
Le seul reproche que j’aurais à formuler est l’écriture qui manque un peu parfois de sobriété: il aurait parfois fallu qu’elles s’arrêtent une fois la chute révélée, ou qu’elles se centrent plus sur l’action et moins sur les réflexions des personnages pour se focaliser davantage et être un peu plus percutantes.
La note de Mélu:
Jolie découverte.
Un mot sur l’auteur: Sylvie Claudepierre est une auteure française. Vous pouvez la retrouver sur son site internet.