Dernière participation (bonus car j'ai atteint mon pourcentage envisagé) sur le fil au challenge Rentrée Littéraire 2013... avec Le Quatrième Mur de Sorj Chalandon.
Ce livre m'a été offert par des personnes que j'affectionne particulièrement. Je n'ai pas résisté à la tentation de l'ouvrir le jour-même où il m'a été offert. Ensuite, je ne l'ai plus quitté.J'ai adoré ce roman.
L'histoire est simple mais l'Histoire est compliquée.Un homme, Sam, décide de mettre en scène Antigone d'Anouilh. Jusque là ça va.
Cela se complique quand celui-ci tombe malade et qu'il lègue son projet délicat à son meilleur ami, Georges. Ça se corse mais c'est encore à notre portée.
Cette pièce va être représentée au Liban. Ah! Ça devient complexe.
Ce qui rend la tâche du metteur en scène difficile, c'est que Sam avait décidé de faire jouer chaque personnage de la pièce par des "acteurs" qui seront un représentant de chaque caste en guerre au Liban. Les conflits qui se jouent au Liban trouveront autant de répercussions dans la pièce d'Anouilh et vice versa.La Guerre du Liban: une tragédie (grecque) (absurde)? Probablement! Sorj Chalandon transpose la pièce d'Anouilh dans un contexte de conflit hyper-contemporain. Anouilh avait récrit l'Antigone de Sophocle dans un contexte de guerre (la seconde).
I. Antigone.Personnage tragique par excellence puisqu'elle est le fruit d'un enfantement incestueux: celui d'Oedipe et de Jocaste. Sa mère se suicide et son père s'exile après s'être crevé les yeux.Antigone a deux frères (demi-frères serait le terme exact): Etéocle et Polynice. Ces deux-là s’entre-tuent. Créon, frère de Jocaste et roi de Thèbes, a une préférence pour Etéocle et considère Polynice comme un vaurien. Il offre une sépulture au premier et la refuse au second. Il interdit également à quiconque d'aller contre sa décision sous peine de mort. La charogne de Polynice reste ainsi, traînant dans la poussière. Antigone, la rebelle décide de braver l'interdit et d'offrir une sépulture à son frère. Elle est donc condamnée à être enterrée vivante. Apprenant la situation, Hémon, le fils de Créon, amoureux d'Antigone (ils sont donc cousin-cousine.) s'est laissé enfermer avec cette dernière. Quand Créon ouvre le tombeau, il retrouve Antigone pendue avec la ceinture d'Hémon. Hémon est toujours vivant mais pas pour longtemps puisqu'il va se poignarder sous les yeux de son père. La mort entraînant toujours la mort... Eurydice (pas celle d'Orphée), la femme de Créon se tranche la gorge lorsqu'elle apprend la mort de son fils.
II. Antigone: d'Anouilh à ChalandonLes personnages:
- Georges: Metteur en scène. Représente dans la pièce le choeur "juif".
- Marwan: Chauffeur de Georges. Druze. Il fait le lien entre Georges et les différentes "castes". C'est une sorte de Charon qui est payé par Sam/Georges pour parcourir ce Liban infernal.
- Nakad: fils de Marwan. Joue le personnage d'Hémon.
- Imane: Palestinienne Sunnite du camp de Chatila (camp des réfugiés palestiniens). Elle joue le rôle-phare d'Antigone.
- Charbel: Chrétien. Maronite. Créon
- Nabil: Chiite de Nabatieh . Joue le garde et le messager de Créon.
- Nimer: frère de Nabil et d'Hussein. Chiite. Joue un page.
- Husein: Frère de Nabil et de Nimer. Chiite. Joue aussi le rôle d'un garde de Créon.
- Khadijah: Tante de Nabil, Nimer et Husein. Chiite. Joue le rôle d'Eurydice.
- Madeleine : Chaldéenne. Joue la Nourrice d'Antigone.
- Yevkinée: Arménienne. Joue le rôle d'Ismène, la sœur d'Antigone.
III. Les conflits et les haines:Dans un même état, plusieurs rivalités cohabitent difficilement. Rien ne se fait sans violence. Ces rivalités sont perceptibles dès lors que Marwan donne à Georges tous les passes qui lui permettront de circuler dans telle ou telle région libanaise, au sein-même de Beyrouth la plupart du temps. Il lui donne donc le passe de l'armée libanaise, celui du parti socialiste progressiste druze, celui des milices chrétiennes, le passe chiite du mouvement Amal (chiites libanais)et celui du Fatah (mouvement politique national palestinien)
- La guerre entre Chiites et Sunnites: Nimer, Husein, Nabil / Imane rappelle le conflit entre le Pouvoir de Créon (et ses gardes) et la rebelle Antigone.
- Le Conflit entre Palestiniens et Chrétiens: Imane/Charbel. De la même façon la guerre qui oppose les Palestiniens et les Chrétiens repose sur la rupture entre Antigone et Créon.
- Conflit entre les Druzes et les Maronites: Marwan, Nakad/ Charbel. Ce conflit retrace effectivement l’opposition entre le père (Créon) et le fils (Hémon).
- Antigone et Imane représentent l'ennemie à éliminer.
Ce roman théâtral nous donne un aperçu des conflits au Liban. Avant de lire cette oeuvre, je ne connaissais ni les Druzes ni les Maronites. Je savais que ce n'était pas joli joli dans ce pays mais j'ignorais tout de son histoire.Ce roman n'est pas historique, il est juste un tremplin efficace pour découvrir ce qui se passe en Orient, en levant le rideau sur la réalité du Liban.Le roman pose la question: l'art peut-il permettre une trève pacifique dans un contexte de guerre?On voit bien que la guerre comme la tragédie sont spectaculaires dans leur horreur. Monter Antigone pourra-t-il donc être un acte salutaire et unificateur? Quelle que soit l'issue du roman dont je tairai les aboutissants, la réponse est simple: nous sommes tous des Antigone en puissance.J'ai adoré ce roman. Je l'ai trouvé magnifique. J'ai lu une critique d'un amateur qui a vu dans ce roman une vision trop occidentalisée de cet Orient méconnu, "incriminant" le romancier d'ignorance. Je ne suis pas certaine que cette critique était purement fondée. Je trouve que le romancier a fait son boulot de romancier; et si la Littérature peut nous permettre de faire tomber une sorte de 4ème mur sur notre monde, alors on peut considérer que Sorj Chalandon a mené à bien sa mission et son roman a ainsi rempli toutes ses fonctions.