J’adore Rimbaud. Quand j’étais jeune, pour épater les filles, j’avais tenté d’apprendre par cœur le Bateau Ivre. Et puis j’ai laissé tombé quand j’ai vu que la mob du copain faisait plus d’effet. Le bateau ivre a été emporté par le courant et par le temps qui passe. Jusqu’à ce jour où, dans les années 90, Bernard Pivot consacre l’une de ses émissions (Apostrophe ?) au multimédia. On ne parlait pas encore de jeux vidéo à la télévision. (On n'en parle guère plus aujourd'hui d'ailleurs...). Le multimédia c’était plus chic. Ce jour là, un type avait fait sensation. A la fin de l’émission, il surprit son auditoire en annonçant qu’il allait dévoiler en direct l’œuvre multimédia la plus révolutionnaire jamais créée. Suspens…
Sur ce, il sortit un livre de son sac. Pas n’importe lequel bien-sûr :
les poésies de Rimbaud. L’arme ultime. Un simple recueil de textes mais
capable à lui tout seul de générer les images les plus belles comme les
plus laides, les sons les plus doux comme les plus cruels, les émotions
les plus fortes comme les plus subtiles. Bang ! Effet garanti sur
l’auditoire ! Un peu facile quand même.
Ce type s’appelait Pierre Marchand, créateur de nombreuses collections
Gallimard qui, à défaut d’être réellement multimédia, étaient parmi les
plus visuelles. (L’excellente collection Découvertes, par exemple, qui a renouvelé la notion d’encyclopédie avant que Wikipédia n’apparaisse).
Hier soir, j’étais invité à participer à un débat télévisé sur les jeux
vidéo, à l’occasion du battage médiatique créé par la sortie de GTA IV.
Plateau de Ce soir ou jamais en direct.
Ambiance feutrée. Le débat est lancé sur la Wii et l’élargissement du public des gamers.
Chacun y va de ses réflexions savantes. Tony Fortin, jeune sociologue,
conteste les chiffres. Benoit Virole, psychanalyste, conteste la notion
même de jeu vidéo. Wii Fit n’est pas un jeu vidéo. Soit. Pierre
Gaultier, journaliste talentueux, conteste heu… je ne me souviens plus
très bien quoi…mais il conteste un truc c'est sûr ! Quand vient mon tour j’essaie
de faire un peu de pédagogie sur l’évolution du jeu vidéo et la
stratégie de Nintendo. J’ai l’impression qu’on doit s’ennuyer ferme
dans les chaumières.
Je tente de lancer quelques vannes marrantes pour réveiller l’ambiance.
Tout cela me parait manquer cruellement de passion et d’envie. Ah si on
pouvait avoir sur le plateau Miyamoto, Ueda, Molyneux, Raynal, les
brothers Houser !
Heureusement Frédéric Taddei, toujours aussi enthousiaste, ranime un
peu tout ça de temps en temps. Il a pas mal bossé son sujet.
Le temps passe. Minuit trépasse. J’évite de regarder ma montre, ça ferait mauvais genre.
Et là, miracle. Deux nouveaux interlocuteurs arrivent : Marc Edward Nabe
et Jean-Jacques Lefrère. Et paf voilà Rimbaud qui s’invite de nouveau !
Merde alors ! Encore lui ! A ce moment là, la magie opère. Les deux compères
nous racontent les conditions dans lesquelles un inédit de Rimbaud vient
d’être découvert. Une énigme. Un vieux journal retrouvé dans un
grenier. Un truc rocambolesque. Ces deux là savent la force d’une
histoire pour captiver un auditoire. Ça se termine par la lecture de
cet inédit de Rimbaud, certes mineur mais léger, tellement frais, qu’il
emporte avec lui tout sur son passage. Les deux compères nous ont eus.
C’était un traquenard. Charleville-Mézières 1- New-York City 0. Les
jeux vidéo ont dû sembler bien pâles à côté de l’esprit frondeur de
Rimbaud. Sacré Arthur ! La prochaine fois, il est foutu de débarquer en
personne, tout crasseux « Salut les mecs, j’m’appelle Rimbaud. Arthur
Rimbaud ! Ça vous en bouche un coin hein ! Zavez-pas vu mon pote Niko
Bellic ? Je dois lui refourguer quelques armes pour se défendre ! »