http://www.la-croix.com/Actualite/Economie-Entreprises/Economie/La-surmortalite-des-coquillages-inquiete-les-producteurs-2014-07-25-1183815Les conchyliculteurs ont bloqué le pont de l’île de Ré et le port de La Rochelle pour dénoncer la mortalité massive des coquillages, le 22 juillet.25/7/14Manifestation des conchyliculteurs de Charente-Maritime qui bloquent le pont de l'île de Ré, le 19 juillet 2014.
AVEC CET ARTICLE
Ce phénomène récurrent chez les huîtres depuis 2008 a touché pour la première fois les moules au printemps, menaçant l’avenir de la filière.
« Aujourd’hui, la profession ne veut plus se taire », déclare Gérald Viaud, président du Comité national de la conchyliculture. Les producteurs de moules, huîtres, palourdes ont bloqué le pont de l’île de Ré samedi 19 juillet et le port de La Rochelle mardi 22 juillet afin d’attirer l’attention des pouvoirs publics sur les risques qui pèsent sur la filière à cause de la dégradation du milieu naturel. Les protestataires planifient de nouvelles mobilisations en août et n’excluent pas de venir à Paris pour se faire entendre.
MORTALITÉ MASSIVE DES HUÎTRES ET DES MOULES
À l’origine de leur colère, des mortalités massives chez différentes espèces de coquillages. Pour les huîtres,
« le phénomène est récurrent », explique Tristan Renault, responsable de l’unité santé, génétique et microbiologie des mollusques à l’Institut français pour l’exploitation de la mer (Ifremer).
« Depuis 2008, on constate d’importantes surmortalités sur le naissain (les huîtres juvéniles) mais l’été dernier on a aussi vu mourir un grand nombre d’huîtres adultes ».Plus inquiétant, ce printemps, des mortalités massives ont été constatées chez les moules.
« Dans certaines zones, comme dans la baie de l’Aiguillon en Charente-Maritime, 100 % des moules sont mortes », s’inquiète Tristan
Renault. Les analyses de l’Ifremer ont permis de repérer la bactérie responsable, la
Vibrio splendidus, mais elles n’expliquent pas comment elle est arrivée dans le milieu et pourquoi elle a été si dévastatrice.
« LA DOMESTICATION DE L’ESPÈCE L’A RENDUE PLUS SENSIBLE »
Du côté des ostréiculteurs, on connaît aussi les virus et bactéries à l’origine des surmortalités observées depuis six ans.
« Ils sont présents depuis la nuit des temps. Mais qu’est-ce qui les a réveillés ? », se demande Gérald Viaud.Pour ce producteur, la dégradation des milieux naturels ne laisse aucune chance aux huîtres.
« Nos coquillages sont les sentinelles du milieu. Lorsqu’ils meurent c’est que l’équilibre entre espèces est rompu ». Il dénonce les rejets des stations d’épuration et la contamination de l’eau douce rejetée ensuite dans la mer, par les pesticides.Benoît Le Joubioux, président de l’association des ostréiculteurs traditionnels, va plus loin pour expliquer la surmortalité.
« La domestication de l’espèce l’a rendue plus sensible aux maladies ». En cause, le développement des écloseries, ces nurseries-laboratoires, où des millions d’huîtres naissent chaque année dans un milieu fermé, éloigné de leur habitat naturel et de ses menaces.
DES HUÎTRES DÉVELOPPÉES EN LABORATOIRE POINTÉES DU DOIGT
Pour ce producteur qui récupère des naissains en pleine mer, les industriels qui ont vu dans les écloseries une
« manne financière » sont des
« apprentis sorciers ». Il estime que l’Ifremer, l’institut qui développe de nouvelles variétés d’huîtres, a
« une part de responsabilité » dans les mortalités des dernières années.À force de sélection génétique et de croisements, l’Ifremer est parvenu à créer une huître triploïde qui possède trois séries de chromosomes au lieu de deux. Stérile, elle n’est jamais laiteuse et se consomme donc toute l’année. Elle grossit aussi plus vite que les huîtres diploïdes classiques car elle ne consacre pas d’énergie à la reproduction.
« La sélection génétique chez une espèce l’appauvrit. Dans une écloserie, une vingtaine d’huîtres en donnent des millions alors qu’en mer, les semences de millions d’huîtres se mélangent », détaille Benoît Le Joubioux.
« Ils ont voulu développer des huîtres uniformes censées plaire davantage au consommateur et être plus résistantes. Voilà le résultat. »UNE REQUÊTE CONTRE L’IFREMER DÉPOSÉE AU TRIBUNAL
Tristan Renault à l’Ifremer reconnaît que la résistance des huîtres triploïdes n’est plus supérieure à celle des diploïdes. C’était le cas avant 2008, où les triploïdes
« consacraient toute leur énergie à l’adaptation et non à la reproduction ».Mais maintenant, la dégradation des milieux a mis tout le monde sur un pied d’égalité. Quant à la mise en cause des écloseries, il balaye l’argument.
« Les pratiques d’élevages ne sont qu’un élément du problème. On voit aussi des mortalités massives chez les moules qui proviennent pourtant de captage naturel et non d’écloseries. »Mais l’association a décidé d’en avoir le cœur net. Elle a déposé une requête devant le tribunal administratif de Rennes contre l’Ifremer pour
« développement de biotechnologies sans en mesurer les conséquences ».Le rapport d’expertise va bientôt être publié et les ostréiculteurs n’excluent pas de porter plainte.
« L’Ifremer n’a pas du tout fait attention au milieu marin. Maintenant ils essaient de gérer les erreurs qu’ils ont faites depuis 25 ans », commente Benoît Le Joubioux.
LES OSTRÉICULTEURS DE MOINS EN MOINS NOMBREUX
Les professionnels s’inquiètent pour leur avenir.
« Quand j’ai commencé à travailler avec mes parents en Charente-Maritime, il y avait 5 000 ostréiculteurs, aujourd’hui nous sommes 2 500. Toute la filière est touchée par une grave crise », s’alarme Gérald Viaud.
« J’ai l’impression que les politiques à Paris ne nous entendent pas. Mais si l’ostréiculture disparaît, c’est toute un art de vivre à la française et une richesse patrimoniale et culturelle que l’on va perdre. »–––––––––––––____________________________
L’impact de la mortalité des coquillagesLes huîtres :En France, la production d’huîtres s’effondre depuis plusieurs années. De 136 000 tonnes en 1996, on est passé à 80 000 tonnes aujourd’hui, soit une chute de plus de 40 %.Le Comité national de la conchyliculture (CNC) estime que la mortalité des huîtres adultes l’été 2013 a représenté un manque à gagner de 50 millions d’euros.
Les moules : En France, les moules n’avaient pas connu jusqu’ici de forte mortalité et les niveaux de production étaient plutôt à la hausse ces dernières années.Mais pour le CNC la mortalité massive des moules au printemps 2014 va entraîner une perte financière de 20 millions d’euros.
CLÉMENCE BOYER