Le titre est emprunté à la célèbre toile peinte en 1854 dans laquelle le peintre se met en scène, encore jeune et svelte, chapeau bas et sac au dos, la barbe arrogante, salué en rase campagne par son mécène Alfred Bruyas flanqué de son domestique. Ce tableau présente une particularité qui n'échappe pas à l'œil de Jean-Pierre Ferrini : sur le sol, seule l'ombre de Courbet figure, comme si les autres personnages n'étaient que transparence...
On savait l'auteur spécialiste de Dante ; ce qu'on savait moins, c'est qu'il avait passé toute son enfance à quelques kilomètres d'Ornans, la ville de Courbet. Cette proximité explique sans doute en partie (mais en partie seulement) qu'il porte sur les tableaux du maître un regard différent du commun des mortels. Qui en effet, aujourd'hui, pourrait écrire d' Un enterrement à Ornans :
Un enterrement à Ornans " Quand je regarde , je ne vois pas ce tableau seulement
Dans cette toile emblématique, le regard de l'auteur voyage et se pose sur l'un des enfants de chœur auquel on s'est bien peu intéressé par le passé alors qu'il mérite pourtant de retenir l'attention ; comme absent de la scène à laquelle il participe, il regarde ailleurs :
" C'est l'Enfant, le récitant à l'avant-scène qui rêve toute la Comédie que nous jouons, cette procession, de la naissance à la mort. "
Au fil de courts chapitres, l'auteur construit des passerelles temporelles qui relient le peintre et son œuvre à sa propre vision, en d'autres termes à sa région, ses souvenirs d'enfance, ses interprétations. Ces passerelles font penser à ces " ponts de singe " des forêts tropicales, solides sous une apparente fragilité et utiles pour passer sur une rive inconnue. Le lecteur peut donc s'y aventurer sans crainte : la nostalgie, la sensibilité qui marquent le texte s'appuient sur une culture et une intelligence d'interprétation des plus sûres.
" Si l'on considère l'adultère, la séduction, le viol, la fornication, la prostitution, le divorce, la polygamie et le concubinage comme formant la pathologie de l'amour et du mariage, l'inceste, le stupre, la pédérastie, l'onanisme et la bestialité en seront la tératologie. Le débordement de tous ces crimes et délits contre le mariage est la cause la plus active de la décadence des sociétés modernes... "
Est-ce donc un hasard si Courbet attendit 1865 (mort de Proudhon) pour commencer de
Le format de Bonjour Monsieur Courbet permet de l'emporter avec soi, et ce ne serait sans doute pas une mauvaise idée, pour ceux qui viendraient, cet été, à visiter la région d'Ornans ou la rétrospective Courbet qui, de retour de New York, se tiendra du 14 juin au 28 septembre au musée Fabre de Montpellier. Relire les textes de Jean-Pierre Ferrini devant les paysages qui servirent au peintre ou devant les toiles qui les représentent serait sans nul doute une expérience enrichissante pour le regard.
Illustrations : Un enterrement à Ornans, détail - Portrait-charge de Gustave Courbet, 1867 - La Source de la Loue, 1864.
À propos de T.Savatier
Ecrivain, historien, passionné d'art et de littérature, mais aussi consultant en intelligence économique et en management interculturel... Curieux mélange de genres qui, cependant, communiquent par de multiples passerelles. J'ai emprunté aux mémoires de Gaston Ferdière le titre de ce blog parce que les artistes, c'est bien connu, sont presque toujours de mauvaises fréquentations... Livres publiés : Théophile Gautier, Lettres à la Présidente et poésies érotiques, Honoré Campion, 2002 Une femme trop gaie, biographie d'un amour de Baudelaire, CNRS Editions, 2003 L'Origine du monde, histoire d'un tableau de Gustave Courbet, Bartillat, 2006 Courbet e l'origine del mondo. Storia di un quadro scandaloso, Medusa edizioni, 2008