Du 04 au 06 août prochain, le président Barack Obama reçoit à Washington la plupart de ses homologues africains. À l’instar de la Françafrique et de la Chinafrique, on pourrait parler ici d’une Américafrique. En dehors des enjeux économiques, la presse internationale évoque aussi des enjeux sécuritaires et politiques, notamment la question de la gouvernance démocratique. Si la position officielle de l’Administration américaine, refusant la manipulation des constitutions pour s’éterniser au pouvoir, est louable, il est légitime de s’interroger sur sa sincérité au regard de la convoitise dont fait l’objet l’Afrique ces dernières années.
L’Afrique a connu « la gouvernance constitutionnelle » dans la mesure où chaque société avait une conduite à tenir dans le choix de leurs chefs, comme cela a existé dans les empires et les royaumes. Après la colonisation, il y a eu une sorte de « démocratie pluraliste» avec cohabitation de plusieurs ethnies qui, malheureusement, seront séparées et parfois contraintes de vivre avec d’autres après le découpage du continent à la Conférence de Berlin. Après la chute du mur de Berlin et la perestroïka de Gorbatchev, les Occidentaux s’intéressent curieusement aux constitutions africaines fondées sur la démocratie pluraliste. Alors qu’ils ont affiché entre temps un désintérêt pour les constitutions des partis uniques fraichement sortis du néocolonialisme qui leur donnent la latitude de continuer à dominer politiquement et économiquement leurs anciennes colonies. Aujourd’hui, les données géopolitiques ayant changé et les richesses du continent convoitées par d’autres puissances émergentes comme la Chine, les Américains, dans le cadre de leur partenariat avec les Africains, exigent de ces derniers le respect des constitutions. Et c’est la position que ne cesse de soutenir John Kerry pour empêcher, soit disant, les dirigeants africains de briguer d’autres mandats. Ne s’agit-il pas là d’un chantage souvent utilisé par les Occidentaux pour soutirer des concessions économiques aux dirigeants africains ?
Aujourd’hui, depuis la disparition du mur de Berlin, les Occidentaux tentent d’imposer leur modèle de démocratie en Afrique, tout en occultant le fait que les sociétés africaines ne sont pas encore bien politisées et qu’elle sont toujours sujettes aux conflits interethniques. L’histoire politique nous enseigne également comment ces mêmes donneurs de leçon ont sapé pendant plusieurs décennies les véritables processus démocratiques à l’africaine. Des autocrates comme Mobutu et Bongo-père furent soutenus politiquement et même militairement par les Français et les Américains pour leurs richesses exploitées largement par ceux-ci. Alors, oseront-ilsdemander aux présidents nigérien et tchadien la limitation des mandats constitutionnels au moment où leurs intérêts sont menacés dans la zone ? Aussi, au lieu d’imposer aux pays africains le respect de constitutions fondées paradoxalement sur un modèle étranger, pourquoi les Occidentaux ne demanderaient-ils pas aux Africains de s’offrir des constitutions qui prendraient en compte leurs traditions, us et coutumes, tout en s’inspirant de l’expérience occidentale ? Malheureusement, les puissances occidentales ont sacrifié la démocratie sur l’autel de la stabilité afin d’assurer leur approvisionnement en ressources naturelles, avoir un accès privilégié aux opportunités d’affaires, sans parler de renforcer leur position géostratégique dans le continent. Dans cette perspective, les citoyens africains ont été trahis par la complicité d’une grande partie de leurs dirigeants qui, en échange de leur maintien au pouvoir, donnaient carte blanche aux occidentaux. La faiblesse du leadership africain s’avère aujourd’hui l’un des obstacles à la consolidation de la démocratie en Afrique.
Un autre handicap de taille qui limite la transplantation de la démocratie à l’occidentale en Afrique est le fait que les partis politiques sont en général considérés comme de simples tremplins pour l’ascension sociale. Les peuples africains n’ayant pas encore compris que les partis sont des institutions pour canaliser le débat des idées et mobiliser les forces vives de la société autour de projets servant l’intérêt général. Rares sont les groupements politiques fondés sur les idéologies politiques et surtout qui fonctionnent de manière démocratique. En Afrique, les luttes idéologiques laissent souvent la place aux confrontations interethniques et interrégionales quand se pose la question de l’alternance au pouvoir. Triste réalité ! Appliquer les principes des constitutions occidentales en Afrique, sans aucun ajustement institutionnel, en l’occurrence une réforme radicale des partis politiques pour rationaliser le champ politique, c’est permettre aux ethnies majoritaires d’être au pouvoir ad vitam aeternam provoquant ainsi de l’exclusion politique et économique, synonyme de terreau favorable à l’instabilité politique et sociale avec son lot de violences interethniques voire de guerres civiles.
Les constitutions fondées sur le pluralisme démocratique ont déjà montré leurs limites et faiblesses sur le continent en raison de l’antagonisme des ethnies et de leur lutte pour le pouvoir. Elles ont conduit, dans le cadre du multipartisme, à l’anarchie. Ainsi, les années 1990 à 1997 qui ont été marquées par un chaos généralisé avec 450 partis politiques et l'anarchie Mobutiste.Drames et tragédies ont brusquement secoué le continent lors de l’application de l’alternance au pouvoir, comme dernièrement au Congo, en RD du Congo et en Côte d’Ivoire. Aujourd’hui les Centrafricains ont pris le relai où les divisions religieuses sont instrumentalisées pour exacerber des clivages sociaux et ethniques déjà existants.
Transposer certains principes de démocratie occidentale dans leurs sociétés tout en liant tradition et modernisme, tel doit être le leitmotiv des dirigeants africains. Aussi, malgré les contraintes de sa société, l’Africain a un héritage démocratique qu’il doit réhabiliter et moderniser. Les institutions africaines démocratiques et informelles qui sont négligées pourraient être exploitées pour réaliser de « nouvelles républiques » à l’africaine. Cela nous épargnerait les drames et tragédies consécutifs à l’application de la démocratie occidentale.
Noël Kodia, Essayiste et critique littéraire du Congo-Brazzaville