Sénatrice @EELV du #ValdeMarne (94) et directrice d'études à l'#EPHE (#Sorbonne)Publication: 24/07/2014/
http://www.huffingtonpost.fr/esther-benbassa/manif-pro-gaza_b_5616724.html?utm_hp_ref=france
Les déclarations de notre Premier Ministre publiées par Le Figaro de ce jeudi matin 24 juillet évoquent les remontrances de ces instituteurs d'antan prompts à taper sur les doigts de leurs élèves lorsqu'ils ne faisaient pas ce que le maître demandait.
Pour M. Valls, un élu ne saurait participer à des manifestations autorisées susceptibles, selon lui, se terminer par "des slogans et des actes antisémites". Cette mise en garde vient après que le même M. Valls a rudement critiqué, à l'Assemblée, les quelques élus EELV présents à la manifestation pro-palestinienne de Barbès de samedi dernier, interdite, elle, par le préfet de Paris, le Premier Ministre visant alors notamment le maire EELV du IIe arrondissement de Paris, Jacques Boutault, présent pourtant sur les lieux en observateur plutôt qu'en participant.
L'honneur des élus et le rôle de l'Etat
Quel sort sera donc réservé, aujourd'hui, par notre Premier ministre, aux élus qui ont effectivement participé à la manifestation de mercredi, organisée par des gens sérieux et responsables, encadrée par un service de sécurité efficace, manifestation dont le mot d'ordre, simple et clair, était "Pour une paix juste et durable entre Israéliens et Palestiniens", et qui s'est déroulée dans le calme, sans en être entachée par le moindre slogan ou incident antisémite?
De quel droit M. Valls s'en prend-il à des élus -comprenant d'ailleurs des socialistes- exerçant librement leur droit de manifester dans un cadre autorisé et exempt de toute dérives antisémites? Veut-il le leur interdire? Et veut-il finalement interdire toute manifestation organisée contre les massacres en Palestine? Si c'est cela qu'il vise, autant qu'il le dise clairement.
Je croyais naïvement que le rôle de l'Etat, en ces matières, était d'abord et uniquement d'encadrer et de sécuriser. Or l'Etat a déjà failli, à Barbès, à Sarcelles. Aucune interdiction ne semble avoir pu arrêter les excités et les provocateurs. Les organisateurs de la manif d'hier, eux, l'ont fait. Et si quelques jeunes ont brandi des drapeaux qui ne sont assurément pas de mon goût, cela fait partie des menus incidents habituels dans toutes les manifestations.
Non, je n'ai pas de problème avec Israël
Je suis élue de la République. Et juive. Et fière de l'être. Les miens ont contribué, dès les années 1940, à la fondation de l'Etat d'Israël. J'ai une soixantaine de membres de ma famille dans ce pays que je visite régulièrement. J'ai servi, jeune fille, ce pays, parce que je croyais que le sionisme visait seulement à donner une terre à ceux qui n'en avaient pas, et qui avaient subi pendant des siècles l'antisémitisme et les pogromes, et finalement la Shoah.
J'ai aussi vécu, en 1967, les premiers jours de l'occupation de la Palestine, avec angoisse. Je venais de Turquie où j'avais cohabité avec des chrétiens, des musulmans, des juifs, et grandi dans l'amour de la France. Je ne savais pas haïr et je n'ai toujours pas appris. Je n'étais pas pratiquante, mais j'avais gardé de mon judaïsme, celui de mes parents, une certaine éthique. Ne pas humilier, servir le pauvre, l'humble, le malade, ne jamais commettre des actes que je pourrais me reprocher. Respecter l'Autre, et surtout la vie de l'Autre.
Si je milite aujourd'hui pour les minorités, si je me bats pour les droits humains et la liberté, c'est au nom de cette éthique. Pour être à la hauteur des idéaux du peuple dont je suis issue. Comme de ceux de la République dont je suis, au Sénat, une élue. Ce combat, je l'ai aussi mené, et je le mène encore, comme professeur d'histoire juive, à l'Ecole pratique des hautes études, essayant d'enseigner aux jeunes et aux moins jeunes ce que j'ai appris moi-même de maîtres plus savants que moi.
Si j'ai manifesté hier, c'est aussi pour dire que s'opposer à la politique de M. Netanyahou n'est pas le pré carré de je ne sais quelle « confession » (musulmane). C'est pour crier, avec force, avec tant de gens qui me ressemblent et qui ne me ressemblent pas, au-delà de nos appartenances réelles ou supposées à une religion ou à un parti, contre les violences et les massacres subis par les Palestiniens. J'étais là, oui, parce que je viens d'un peuple qui a souffert, et que je ne veux pas qu'un autre souffre à son tour, au nom d'un nationalisme extrême et d'espoirs messianiques vains et dangereux.
Faux prophètes
Monsieur Valls se prend pour un prophète. Il avait vu venir depuis longtemps "ce nouvel antisémitisme". Puis-je lui rappeler, comme historienne des juifs, que les prophètes -les vrais- avaient le courage de ne pas hurler avec les loups, de prendre des risques, de se retrouver seuls, face au pouvoir?
Le ton pseudo-"prophétique" de M. Valls, qui n'est que calcul politique, me déplaît au plus haut point. Cherche-t-il à éviter au parti socialiste ce que M. Jospin n'avait pas su éviter: le reproche ne pas avoir pris l'antisémitisme montant au sérieux? Cherche-t-il à ébranler aussi, une fois de plus, l'équilibre des forces à gauche? Cherche-t-il à séduire je ne sais quel électorat? Inquiétants calculs, assurément. Qui expliquent peut-être également la déclaration initiale, peu mesurée et outrageusement pro-israélienne, de M. Hollande concernant le conflit en cours.
Cette déclaration, on ne le dira hélas jamais assez, a indéniablement donné un coup de fouet malvenu aux antisémites convaincus ou de circonstance, qui y auront trouvé un alibi. Loin de contribuer à combattre l'antisémitisme et à assurer la sécurité de la population juive, de telles postures mettent au contraire de l'huile sur le feu. Etait-ce le rôle des plus hauts représentants de l'Etat?
M. Valls, chef de la communauté juive ?
Les sorties intempestives de M. Valls font partie de sa personnalité. Mais elles ne doivent pas se faire au prix de la liberté des élus. Parler comme s'il était le chef de la communauté juive ne sied pas, me semble-t-il, à un Premier ministre. Celui-ci doit délivrer une parole de politique, sobre, soucieuse du bien commun et de la paix publique. C'est ce qu'on lui demande. C'est tout ce qu'on lui demande.
Je n'ai hélas pas lu les "oeuvres complètes" (sic) de notre Premier Ministre, et je ne les connais pas. Puis-je cependant lui dire qu'il n'y a pas, contrairement à ce qu'il suggère, de "nouvel" antisémitisme? Seulement un antisémitisme tout court, qui s'exprime hélas parfois haut et fort, sans complexe, qui prend parfois les habits trompeurs de l'antisionisme, et qui trouve parfois un exutoire dans la défense des Palestiniens.
Antisémites, les manifestants d'hier ?
Il n'en reste pas moins que ceux qui manifestaient hier et qui manifesteront demain, dans leur immense majorité, ne sont pas antisémites. Ils pleurent les morts à Gaza. Ils se révoltent contre le silence des Occidentaux, l'asymétrie des situations et des forces, l'occupation, le blocus, et tant de vies sacrifiées dans une guerre qui est, quoi qu'on dise, une guerre d'occupation.
Imagine-t-on que j'ai la moindre "sympathie" pour le Hamas, qui a pris en otage les Palestiniens de Gaza qui n'ont nulle part où fuir, qui met Israël sous une pluie de roquettes lancées à l'aveugle, sur les populations civiles? Croit-on que je ne déplore pas la mort des jeunes soldats israéliens tombés dans une guerre vaine, qui, depuis 2008, se répète tous les trois ans? Que je n'ai pas de sympathie pour les endeuillés d'Israël? Et que je ne songe à tous ceux qui, en Israël, doivent faire face à des alertes toutes les dix minutes?
Simplement, ma famille n'est pas allée construire cet Israël-là, celui des ultras, qui rêvent du Grand Israël, celui qui coûte la vie à tant de Palestiniens et à tant d'Israéliens, les premiers payant -de très loin- le plus lourd tribut. Les massacres de Gazaouis, les corps déchiquetés, les enfants et les femmes assassinés, les décombres des maisons détruites, les populations déplacées, la misère et la détresse hantent mes nuits. Je suis désespérée.
En dépassant les frontières de 1967, on a commis le pire
Je suis naturellement l'adversaire du Hamas et de ce qu'il incarne. Mais j'affirme qu'un jour, si une paix doit se conclure, le Hamas devra être à la table des négociations. Je ne vois pas d'autre moyen pour que cette guerre, faite de part et d'autre pour des intérêts politiques, finisse par s'arrêter.
Je ne puis évidemment accorder le moindre soutien à un gouvernement d'Israël dominé par le Likoud, qui continue à coloniser, et qui bafoue, aux yeux du monde, l'éthique ancestrale des juifs d'Israël et de diaspora. Mes amis, mes proches défilent aussi en Israël contre cette politique suicidaire, contre les massacres à Gaza, contre cette violence à répétition, au nom de l'occupation de quelques kilomètres carrés de plus. En dépassant les frontières de 1967, on a commis le pire.
M. Valls, l'ancien ami des Palestiniens
Je rappelle à M. Valls qu'il tenait dans le passé, chaque année une, manifestation qui s'intitulait les "Six Heures pour la Palestine", qu'il avait accueilli chaleureusement, en 2002, Leïla Shahid, alors déléguée de la Palestine en France, pour le jumelage d'Evry-Ville nouvelle avec le camp de Khan Younès, et qu'en 2002, encore, à la tribune de la Mutualité, il dénonçait "la colonisation qui viole le droit international." Cela aurait-il été expurgé de ses "oeuvres complètes"? Il est vrai, aujourd'hui, que défendre les Palestiniens ne sied guère à un présidentiable. Je n'en dirai pas plus, par respect pour la fonction de Premier ministre.
Monsieur Valls, votre rôle, votre devoir, c'est de dépasser le communautarisme et les petits calculs politiques (et peut-être, grands, bientôt...). C'est de veiller à apporter le calme dans ce pays en tenant des discours dignes d'un Premier Ministre.
Barbès, Sarcelles : des émeutes de banlieue
Et c'est aussi de savoir entendre, derrière l'antisémitisme que vous dénoncez à raison, l'écho des rancoeurs bien réelles de quartiers populaires pour lesquels vous n'avez rien fait, enterrant qui plus est notre "politique de la ville". Ces gens attendaient beaucoup de ce gouvernement, ils avaient voté PS. Les explosions de Barbès et de Sarcelles sont aussi des "émeutes de banlieue".
La rage qui monte contre le gouvernement se retourne en prenant les juifs pour cible, des juifs identifiés à tort au pouvoir. Ce scénario est ancien, bien connu, de ceux du moins qui ont quelques notions d'histoire juive. C'est à vous de le casser, ce scénario. Mais vous ne le ferez pas avec vos points de vue binaires, au contraire. Si vous voulez protéger les juifs de France, dispensez des discours clairs, mesurés, en un mot: "républicains".
Non, les écologistes n'ont pas de "problème avec Israël"
Et renoncez à ces médiocres attaques contre les partis qui se trouvent à la gauche du PS, dont les écologistes, qui font pourtant partie de votre majorité, en les classant, pour les disqualifier, dans la catégorie de ceux qui auraient "des problèmes avec Israël".
Vous oubliez que ce sont des démocrates comme nous qui contribuent à apporter du crédit (et du calme) à ces manifestations, en expliquant, en dialoguant, et en servant de paratonnerres aux possibles dérives antisémites. Et quand je dis nous, ce n'est pas seulement aux écologistes que je pense, mais bien à tous ces partis à la gauche du PS qui défilaient hier et qui ont permis, avec d'autres, que la manifestation se déroule dignement. C'est pour cette raison que je salue aussi les députés PS qui marchaient avec nous. Qu'il y ait ici ou là quelques extrémistes peu regardants sur leur façon de s'exprimer, c'est le sort commun de tous les partis, dont le rôle est aussi de structurer et de cadrer.
Un peu de calme, Monsieur le Premier ministre, et surtout de sagesse, avant que la situation ne se dégrade davantage. Consacrez plutôt vos efforts à imposer le cessez-le-feu en Israël et à Gaza. Ça vous sortira de votre communautarisme...