Chronique « Moby Dick » : Au milieu de l’océan, personne ne vous entendra crier…
Scénario de Olivier Jouvray (d’après le roman de Herman Melville), dessin de Pierre Alary,
Public conseillé : Adultes, adolescents
Style : Aventure inititiatique Paru chez Soleil, collection « Noctambule », le 2 avril 2014,124 pages, format compact cartonné.
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L’histoire
Sur une mer d’huile, un homme dérive, accroché à une épave… Secouru par des marins, il raconte son histoire…
Dans l’hiver glacial, Ishmaël (c’est son nom) entre dans une taverne pour trouver un abri pour la nuit. Le patron n’a plus de chambre de libre, mais lui propose de partager un lit avec un autre marin. Hésitant, Ishmaël accepte et se couche en attendant ce « compagnon imposé ».
Plus tard, un géant à l’allure effrayante, couvert de tatouages, entre dans la chambrée et se jette sur l’inconnu qui occupe son lit. Effrayé, Ishmaël alarme le tenancier, qui a vite fait de calmer Queequek, le géant indien.
Au matin, les deux hommes font connaissance. Natif d’une île lointaine où on pratique le cannibalisme, Queequek est là, tout comme Ishmaël, pour s’engager sur un baleinier.
Mais avec son passé de marine marchande, Ishmaël n’a pas le profil qui impressionne les recruteurs. Heureusement pour lui, le gabarit impressionnant et les capacités de lanceur de harpon de « son nouvel ami » lui permet d’être engagé sur le « Pequod », le bateau du capitaine Achab…
Ce que j’en pense
Dans la collection « Noctambule » des éditions Soleil, dédiée aux adaptations littéraires (voir « Au coeur des Ténèbres » de Godard, « Léonard et Salaï » de Lacombe et Echegoyen), Olivier Jouvray et Pierre Alary s’attaquent à un monument du Roman. Rien de moins qu’un classique de la littérature Anglo-saxonne, que chacun d’entre nous (enfin à mon époque) a étudié sur les bancs du collège.
Passer après le superbe et « expressionniste » film homonyme de John Huston (en 1956), ou les récentes versions en BD de Chabouté (« Moby dick » chez Glénat) et de Mallet (« Capitaine Achard » chez Treize étrange), ce n’est pas vraiment facile…
Dans ce registre très connu et référencé, Jouvray et Alary s’en sortent comme des chefs. Cette adaptation de l’oeuvre d’Herman Melville m’a semblé en même temps, très personnelle et très fidèle au roman d’origine.
C’est une version assez « grand public » qu’Olivier Jouvray a mis en scène. En mettant l’accent sur le capitaine Achab, personnage sombre et torturé, véritable figure de proue du roman, il pointe du doigt la folie destructrice qui « avale » son protagoniste. Fou de vengeance, Achab sacrifie tout pour obtenir réparation. Son bateau, son équipage et même sa vie…
Au long de l’album, la tension monte et l’impression de drame future s’impose. C’est exactement le sentiment que j’ai gardé de ma lecture de jeunesse ou du film de Huston (que j’ai revu récemment). Pour Achab, la lente progression vers la mort annoncée est son destin, accepté et orchestré comme un but ultime.
Cette adaptation de « Moby Dick » m’a vraiment séduit. Olivier Jouvray conserve le message philosophique du roman ( « La bête, le monstre, c’est soi-même »), qui en fait sa force.
Le dessin
Avec un trait plus nerveux et moins « fini » que dans ses précédentes séries (« Sinbad », « Silas Corey« …), Pierre Alary adapte sa technique. Mais bon, avec 128 pages à produire, on peut comprendre. N’en déplaise aux amateurs d’encrage parfait, il nous offre un dessin enlevé et percutant, travaillé dans l’esprit d’un storyboard.
Son trait semi-réaliste se fait plus expressif et caricatural. Les couleurs, très « tonales » (des camaïeux d’ocres orangés, de bleus terreux et de rouges denses) sont posés sur de grosses masses d’ombres et de lumières.
Le résultat est moins « raffiné » que sur « Silas Corey », mais toujours aussi efficace.
Enfin, les pleines pages maritimes épurées rappellent les planches de Bruno le Floc’h (« Chroniques Outremers« , « Trois éclats blancs », « Au bord du monde »…). C’est dire, si j’aime…
Pour résumer
Intense, mais très accessible, cette adaptation du célèbre roman d’Herman Melville est une belle variation pleine de qualités (esthétiques et narratives). Olivier Jouvray et Pierre Alary nous offrent une relecture émouvante et dense d’une oeuvre forte de la littérature anglosaxone.
Pour découvrir “Moby Dick”, ou en apprécier une version moderne et personnelle, je ne peux que vous conseiller de la mettre dans vos malles de voyages (eu… vos valises) et de l’emporter sur la rive (eu.. la plage).