« Je l’ai découvert un jour, par un été pluvieux, en marchant dans les chemins et sur les routes ; je l’avais vu sans doute des milliers de fois, sans qu’il eut retenu mon attention, car il se confond facilement avec les petites plantes inidentifiables et les débris de végétaux qui recouvrent le sol. Peut-être s’était-il brusquement multiplié ou le hasard m’avait-il conduit à un endroit où il se trouvait en abondance: l’alpha et l’oméga de la nature m’y attendaient. » - Pierre Gascar -
De quoi parle-t-il Pierre Gascar dans ces lignes extraites de son livre Le Règne végétal ? Simplement d’une sorte d’algue si humble, si obscure et si commune que nous ne la remarquons que pour l’écraser du pied. Et encore... Lorsqu’il pleut, car par beau temps, elle devient presque invisible. Invisible certes, mais toujours présente.
Nostoc photographié hier derrière la maison
Le nostoc ou crachat du diable voire crachat de la lune est une sorte d’algue bleue de la famille des cyanophycées à laquelle le romancier s’est intéressé de près. Ce végétal qui se présente sous la forme de masses gélatineuses, humides, profite au mieux de l’été pourri.
On note sa présence partout alentours, après un orage, une averse. À la moindre pluie, il se gonfle d’eau pour former ces sortes de bulbes verdâtres «posés» sur le sol. Par temps sec, il se réduit à l’apparence d’un terne lichen, encore que le mot lichen soit impropre lorsqu’on évoque ce végétal qui était sur terre au commencement des âges et qui nous survivra ainsi qu’à toute forme de vie.
Au-delà de la nuit
Ce qu’écrit Pierre Gascar à propos du nostoc appelle à la réflexion. Le nostoc a « la particularité d’absorber l’énergie lumineuse en deçà du spectre solaire perceptible, dans le domaine des infrarouges. » Lorsqu’on sait que la fin de notre monde sera liée sur une échelle de millions d’années à l’extinction du soleil qui deviendra de plus en plus rouge, seul le nostoc survivra à ce phénomène qui aura engendré la suppression de toute vie animale, la fonction chlorophyllienne ne s’exerçant plus en l’absence du rayonnement ultraviolet.
Il est même probable que le nostoc parviendra dans ce crépuscule préludant à la nuit définitive à extraire encore d’une autre étoile au lointain rayonnement le peu de lumière, invisible pour des yeux humains, nécessaire à sa survie. Avec un peu de rosée (elle se formera encore dans ce contexte) il survivra et sera probablement le dernier brin de vie sur la Terre.
Si vous voulez voir à quoi ressemble le crachat du diable, attendez la pluie et regardez par terre dans le jardin ou sur un chemin.
CC-E
Le Règne végétal de Pierre Gascar est publié aux éditions Gallimard.
(J'ai publié cet article dans la presse quotidienne et dans le n° 6 de la revue Germes de barbarie)