Le problème du comportement des êtres humains devant une projection cinématographique peut souvent s’avérer fatal car nombre d’entre eux se croient dans leur salon lorsqu’ils s’assoient dans une salle de cinéma. Le film leur appartiendrait à eux seuls, et ils pourraient s’y comporter comme bon leur semble puisqu’après tout lorsqu’ils regardent un film chez eux, ils bougent, ils parlent, et personne ne s’en plaint. Alors pourquoi quelqu’un s’en plaindrait-il lorsqu’ils se trouvent au cinéma, qui n’est manifestement à leurs yeux qu’une version géante de leur salon.
Combien de fois ai-je dû demander à un voisin de salle de ne pas commenter le film ? Combien de fois ai-je dû me retourner pour demander au spectateur assis derrière moi de ne pas s’appuyer sur mon siège comme s’il était un repose-pied ? Si j’avais dû compter j’aurais probablement déjà pu publier un roman sur ces spectateurs égocentriques. Je me suis même déjà vu accusé d’égocentrisme moi-même car je ne respectais pas la façon de ces spectateurs de vivre un film au cinéma. Cela m’a fait gentiment sourire.
Le spectateur en question n’était même pas assis directement derrière moi, mais derrière mon amie qui avait choisi ce fauteuil pour être plus tranquille sur la travée. Raté. Dès les publicités, les jambes du spectateur assis derrière elle remuaient son fauteuil dans tous les sens. Le film était commencé depuis quelques minutes à peine que déjà je me retournais pour lui lancer le regard noir que je réserve à ces situations (si si). Sans effet.
Le film de Clint Eastwood dure 2h15, et cela peut sembler bien long lorsque le mec de derrière colle ses jambes à votre fauteuil et les bouge constamment pendant tout le film. Je pense que cette séance rentre dans le Top 3 du nombre de fois où je me suis retourné pour, hum, manifester mon mécontentement envers un autre spectateur. Je ne me retourne pas dès qu’un spectateur donne un coup dans mon fauteuil, avec le temps j’ai appris à reconnaître un coup involontaire dans le fauteuil, ce qui peut arriver à tout le monde, surtout aux grands, d’un coup ressenti parce que la personne installée dans mon dos choisit d’utiliser mon fauteuil (ou celui de la personne assise à côté de moi) comme un repose-pied ou un repose-jambe.
Et pour le fameux spectateur de « Jersey Boys », le fauteuil de mon amie était le prolongement évident de son propre fauteuil, et il lui appartenait naturellement. J’ai eu beau me retourner et lui demander d’abord diplomatiquement s’il pouvait arrêter de s’appuyer sur le fauteuil et d’y donner des coups, aucune réaction, aucun mot. Plus tard j’ai dû recommencer en me redressant et en agitant mon bras dans son champ de vision, le hélant d’un « Hé ho ! Hé ho je vous parle !! » pour l’obliger à regarder vers moi et à me confronter, mais il continuait à faire comme si je n’étais pas là, alors que le spectateur assis à côté de lui, qui ne l’accompagnait pas, voyait bien lui le problème.
C’est après ces nombreuses tentatives ne produisant aucun effet que j’ai commencé à jouer des coudes. Puisqu’il ignorait mes gestes et mes mots, j’ai décidé de tester s’il ignorerait mes coups de coudes. L’espace entre mon fauteuil et celui de mon amie laissait largement passer mon coude, et j’ai donc commencé, à chaque fois qu’il labourait nos fauteuils avec ses jambes, de lui envoyer des coups de coudes dans les tibias (en prenant bien soin de ne pas me tromper de voisin). J’ai dû lui décocher six ou sept coups de coudes, mais évidemment, aucune réaction.
Les spectateurs robots existeraient donc ? Non je pense qu’un robot aurait plus de réaction. Mais c’est alors que je n’en attendais plus de lui qu’il a enfin daigné ouvrir la bouche et confirmer qu’il n’était donc ni sourd, ni aveugle. Alors que je me penchais vers lui pour lui demander « Mais rassurez-moi, on ne vous dérange pas, au moins ? », il a finalement daigné répondre en posant ses yeux vers moi (pour la première fois en deux heures) : « Ah non non, ça va ». « Ah bon ? J’avais un doute pourtant depuis le début » lui ai-je répondu à mon tour. A quoi il a conclu par un second « Non non » avant de reporter son regard sur l’écran.
Connard. Ah non pardon. MONSIEUR Connard. Des connards j’en ai croisé dans les salles de cinéma, mais lui cherchait à concourir dans la catégorie supérieure, alors il mérite bien un Monsieur devant son « connard ». Le film à peine terminé je me suis tourné vers lui, prêt à faire exploser ma rage, mais Monsieur Connard avait déjà décampé. J’ai à peine eu le temps de l’indiquer du doigt à mon amie qui voulait savoir qui était l’empaffé qui avait remué son fauteuil pendant 2h15 comme si elle était en train de regarder Transformers en 4D dans une salle high-tech asiatique. Mais ce n’étaient pas des robots géants chevauchant des dinosaures. Ce n’était que les Four Seasons et leurs tubes à la pelle. Et si Clint avait choisi d’utiliser leur « Beggin’ » dans le film, Monsieur Connard aurait-il été plus enclin à répondre à mes suppliques ?