Le même weekend au cours duquel « Under the
Skin » s’est dérobé à moi une
première fois, mes nerfs ont été mis à rude épreuve devant un autre film.
L’adage « L’enfer, c’est les autres » est rarement aussi vrai que
dans une salle de cinéma où la qualité de l’expérience est également dépendante
de la qualité humaine des spectateurs qui nous entourent.
Le problème du comportement des êtres humains devant une
projection cinématographique peut souvent s’avérer fatal car nombre d’entre eux
se croient dans leur salon lorsqu’ils s’assoient dans une salle de cinéma. Le
film leur appartiendrait à eux seuls, et ils pourraient s’y comporter comme bon
leur semble puisqu’après tout lorsqu’ils regardent un film chez eux, ils
bougent, ils parlent, et personne ne s’en plaint. Alors pourquoi quelqu’un s’en
plaindrait-il lorsqu’ils se trouvent au cinéma, qui n’est manifestement à leurs
yeux qu’une version géante de leur salon.
Combien de fois ai-je dû demander à un voisin de salle de
ne pas commenter le film ? Combien de fois ai-je dû me retourner pour
demander au spectateur assis derrière moi de ne pas s’appuyer sur mon siège
comme s’il était un repose-pied ? Si j’avais dû compter j’aurais probablement
déjà pu publier un roman sur ces spectateurs égocentriques. Je me suis même
déjà vu accusé d’égocentrisme moi-même car je ne respectais pas la façon de ces
spectateurs de vivre un film au cinéma. Cela m’a fait gentiment sourire.
Je ne reprocherai jamais à un spectateur de pleurer
bruyamment ou de rire trop fort devant un film, mais il y a certaines choses
que personne ne devrait laisser passer. Ce weekend devant « Jersey
Boys » de Clint Eastwood, j’ai rencontré un de ces individus pour qui les
spectateurs qui l’entourent dans une salle de cinéma sont des figurants
comblant les fauteuils mais n’ayant pas grand-chose à redire à la façon dont il
se comporte. Le film étant sorti depuis quasi un mois sans grand succès, la
salle était petite, une soixantaine de places tout au plus, et elle s’est donc
retrouvée pleine.
Le spectateur en question n’était même pas assis
directement derrière moi, mais derrière mon amie qui avait choisi ce fauteuil
pour être plus tranquille sur la travée. Raté. Dès les publicités, les jambes
du spectateur assis derrière elle remuaient son fauteuil dans tous les sens. Le
film était commencé depuis quelques minutes à peine que déjà je me retournais pour
lui lancer le regard noir que je réserve à ces situations (si si). Sans effet.
Le film de Clint Eastwood dure 2h15, et cela peut sembler
bien long lorsque le mec de derrière colle ses jambes à votre fauteuil et les
bouge constamment pendant tout le film. Je pense que cette séance rentre dans
le Top 3 du nombre de fois où je me suis retourné pour, hum, manifester mon
mécontentement envers un autre spectateur. Je ne me retourne pas dès qu’un
spectateur donne un coup dans mon fauteuil, avec le temps j’ai appris à
reconnaître un coup involontaire dans le fauteuil, ce qui peut arriver à tout
le monde, surtout aux grands, d’un coup ressenti parce que la personne
installée dans mon dos choisit d’utiliser mon fauteuil (ou celui de la personne
assise à côté de moi) comme un repose-pied ou un repose-jambe.
Et pour le fameux spectateur de « Jersey
Boys », le fauteuil de mon amie était le prolongement évident de son
propre fauteuil, et il lui appartenait naturellement. J’ai eu beau me retourner
et lui demander d’abord diplomatiquement s’il pouvait arrêter de s’appuyer sur
le fauteuil et d’y donner des coups, aucune réaction, aucun mot. Plus tard j’ai
dû recommencer en me redressant et en agitant mon bras dans son champ de vision,
le hélant d’un « Hé ho ! Hé ho je vous parle !! » pour
l’obliger à regarder vers moi et à me confronter, mais il continuait à faire
comme si je n’étais pas là, alors que le spectateur assis à côté de lui, qui ne
l’accompagnait pas, voyait bien lui le problème.
C’est après ces nombreuses tentatives ne produisant aucun
effet que j’ai commencé à jouer des coudes. Puisqu’il ignorait mes gestes et
mes mots, j’ai décidé de tester s’il ignorerait mes coups de coudes. L’espace
entre mon fauteuil et celui de mon amie laissait largement passer mon coude, et
j’ai donc commencé, à chaque fois qu’il labourait nos fauteuils avec ses
jambes, de lui envoyer des coups de coudes dans les tibias (en prenant bien
soin de ne pas me tromper de voisin). J’ai dû lui décocher six ou sept coups de
coudes, mais évidemment, aucune réaction.
Les spectateurs robots existeraient donc ? Non je
pense qu’un robot aurait plus de réaction. Mais c’est alors que je n’en
attendais plus de lui qu’il a enfin daigné ouvrir la bouche et confirmer qu’il
n’était donc ni sourd, ni aveugle. Alors que je me penchais vers lui pour lui
demander « Mais rassurez-moi, on ne vous dérange pas, au
moins ? », il a finalement daigné répondre en posant ses yeux vers
moi (pour la première fois en deux heures) : « Ah non non, ça
va ». « Ah bon ? J’avais un doute pourtant depuis le
début » lui ai-je répondu à mon tour. A quoi il a conclu par un second
« Non non » avant de reporter son regard sur l’écran.
Connard. Ah non pardon. MONSIEUR Connard. Des connards
j’en ai croisé dans les salles de cinéma, mais lui cherchait à concourir dans
la catégorie supérieure, alors il mérite bien un Monsieur devant son
« connard ». Le film à peine
terminé je me suis tourné vers lui, prêt à faire exploser ma rage, mais
Monsieur Connard avait déjà décampé. J’ai à peine eu le temps de l’indiquer du
doigt à mon amie qui voulait savoir qui était l’empaffé qui avait remué son
fauteuil pendant 2h15 comme si elle était en train de regarder Transformers en
4D dans une salle high-tech asiatique. Mais ce n’étaient pas des robots géants
chevauchant des dinosaures. Ce n’était que les Four Seasons et leurs tubes à la
pelle. Et si Clint avait choisi d’utiliser leur « Beggin’ » dans le
film, Monsieur Connard aurait-il été plus enclin à répondre à mes
suppliques ?