C'est vraiment la haine. Je ne me souviens pas, moi qui en ai connu des climats, d'un tel climat porteur d'anéantissement de l'autre par la force comme objectif et principe. Je n'ai rien à dire sur les événements tragiques qui se déroulent là-bas, car mon avis n'est d'aucun intérêt. Je suis étranger à toute religion, même si je suis affecté parfois de "crises" de mysticisme. Mais entendre "Mort aux juifs" tout près de chez moi, comme je l'ai entendu, me blesse au plus profond et me désinfecte pour longtemps de tout mysticisme. Comme me blesseraient au plus profond des slogans comme "Mort aux arabes" ou "Mort aux pédés". La généralisation dans la haine présente le défaut gravissime d'anéantir tout discernement, toute précaution. Et à la fin, de nier toute morale.
Je préfère m'en tenir à ce dessin de Charb qui fera demain la Une de Charlie Hebdo, car discourir, sur un bloque à deux balles, de l'avenir de la morale publique telle qu'elle s'exprime dans les rues de Sarcelles ou de Paris, me semblerait particulièrement prétentieux. Les dessinateurs ont le trait souvent plus juste que les discoureurs.
Sinon, j'ai vu un film que vous ne verrez pas, car il est parcimonieusement distribué et que la presse, au sens large, ne s'en faisant pas l'écho, ne fait pas son boulot. Sunhi (ou Notre Sunhi) est un marivaudage délicat et drôle dessiné à la vidéo par Hong Sang Soo, cinéaste coréen pétri de culture française qui n'en finit pas, de film léger en film aérien, d'élever notre regard vers des hauteurs qui réservent, par bonheur, quelque distance pour s'élever à nouveau, plus haut, plus haut.
Hong Sang Soo filme comme un étudiant, mais qui n'aurait plus besoin de ses maîtres pour exister. Le cinéma est, non le thème, mais l'environnement de ses derniers films. Il montre des cinéastes, des professeurs de cinéma, des étudiants en cinéma qui ne filment pas, mais parlent de leurs sentiments amoureux pour le cinéma (pas les films en particulier) et des femmes et des hommes qui les ont chaviré(e)s et dont ils cultivent la nostalgie.
Il utilise depuis l'origine des techniques narratives qui semblent progresser de film en film. Ainsi la répétition, une même scène pouvant se reproduire avec des personnages différents, voire les mêmes personnages, jusqu'à donner du sens. Je ne m'exprime peut-être pas bien. Hong Sang Soo utilise la répétition (ou les scènes en miroir) comme des révélateurs de situations latentes qui ne demandent qu'à advenir. Ainsi, si tel personnage dit quelque chose à telle autre et que, dans une scène différente, l'une dit la même chose à un tierce, ça ne piétine pas, ça avance.
J'arrête là car je ne sais pas trop comment écrire sur ce que Hong Sang Soo nous donne à voir, mais j'espère avoir, pour certains, éveillé votre curiosité pour un certain cinéma coréen qui est, à peu près, ce qu'on peut voir de mieux et de plus proche (vous savez, la proximité) aujourd'hui.
Balourdement, je compare les cris de haine, brutes, dont résonnent nos rues et les images sereines d'un cinéaste géographiquement éloigné, mais qui pourrait être notre voisin de palier. Personnellement, j'aimerais bien. On prendrait des verres, on discuterait tard, on aurait des souvenirs d'ivresse et de femmes et de peinture, bien sûr. On tituberait jusqu'à la fin de la nuit et à un moment, je lui passerais cette vidéo toute en amitié dans laquelle Léo Ferré chante Mon camarade.
Bonne semaine.