Avant qu’il ne devienne le premier swami indien à propager la spiritualité des yogis à travers le monde, le jeune Mukunda s’est toujours senti aspiré par on ne sait quoi de profond et d’immense à la fois. Aspiré et inspiré. Comme un souffle se fondant ensuite dans l’Univers. Ce petit garçon qui rêvait d’atteindre l’Himalaya et de rencontrer son guru, le reconnut un jour au détour d’une rue de Bénarès et se sentit immédiatement attiré par lui, comme par un puissant aimant. La bonne personne, au bon endroit, au bon moment. Ici, se joue la notion de prédestination et de conjonctures qui ne se font jamais par hasard. Lorsque Mukunda rencontre son maître spirituel Sri Yukteswar, ce dernier sait déjà qu’il sera le futur dispensateur du Krîya Yoga en Occident, technique qu’il reçut de son maître Lahiri Mahasaya, qui lui-même la reçut du Mahavatar Babaji, le yogi que l’on dit immortel…
Le Krîya Yoga est une technique basée sur la maîtrise du Souffle (avec un grand S), cette méditation qui vise à se sentir relié à soi et aux autres, à ne se sentir qu’un avec tout le reste, à ressentir le présent – cette abstraction puisque le présent est à la fois le passé et le futur – et donc, à avoir en bouche et ressentir dans tout son corps, le goût de l’éternité.
Cette autobiographie n’est pas seulement le récit d’une vie étonnante, entièrement tournée vers la spiritualité. Elle décrit également la vie de quelques sages illuminés par la transcendance. Elle permet de rentrer au cœur de la philosophie hindoue où rien n’est impossible à force de perséverance: « Banat, banat, ban jai »* !
J’ai mis plusieurs jours pour entrer dans ce livre traduit dans une vingtaine de langues et lu par des millions de lecteurs car j’ai trouvé son écriture laborieuse. Ensuite, il contient un grand nombre de superstitions. Ma rationalité était d’autant plus mise à mal par les descriptions des expériences mystiques de certains yogis qui dépassent toute logique, tout entendement. Alexandra David-Néel en avait déjà parlé. Pour ma part, j’avais l’impression de me retrouver dans certains passages des « Contes du Roi Vikram » dans lesquels certains ascètes utilisent la magie pour mystifier la réalité. Toutefois, je me suis accrochée à sa lecture vaille que vaille, du seul fait qu’il est l’un des premiers livres écrit par un authentique yogi indien à destination du public occidental.
Et puis, au fur et à mesure que j’avançais dans ma lecture, je laissais derrière moi, mes appréhensions et ma logique pour puiser dans ma sensibilité. Je me disais qu’après tout, on n’était ni grand-chose, ni semblables entre nous et que personne ne disposait de la science infuse. Mes réticences du début ont laissé la place au « pourquoi pas ? ». Oui, pourquoi pas, après tout ? J’ai arrêté de juger et je me suis posée. Juste pour lire. Un autre swami contemporain, Swami Prajnanpad, qui plus est, fut diplômé de physique, n’a t-il pas dit que juger était une illusion : « Parce que si vous devez juger, vous vous servez de votre propre échelle de valeurs. Derrière le jugement se cache la croyance que tout le monde est identique.»
Pour moi, cette autobiographie n’est pas seulement le récit d’une vie tournée vers les autres écrit par un maître spirituel, mais une plongée dans les croyances hindoues. Au delà de la lourde écriture et de l’expérience de ce yogi, il y a ces éternelles questions existentielles, qu’un jour où l’autre, nous sommes forcément amené à nous poser, et qui sont à l’origine des plus grands concepts religieux : Qu’est ce que la « vie » ? Qu’est ce que la « mort » ? D’ailleurs, existe t-elle vraiment, cette « mort » ? Pourquoi ces alternances, voire ces alterités ? Quelle en est la finalité ?
« Autobiographie d’un yogi » est pour moi un livre à double tranchant. Soit, Paramahansa Yogananda freine toute curiosité (en considérant son livre comme un amas d’élucubrations) ou bien, soit au contraire, il l’exacerbe et alors, on s’en sert de passerelle à d’autres réflexions.
Nourjehan Viney
* « Faire, faire et un jour ce sera fait » !
Autobiographie d’un yogi
de Paramahansa Yogananda
Editions Adyar, 2003