Malgré le contexte de l'occupation et la relative brièveté de son existence, le régime de Vichy a très rapidement tenté de légitimer et diffuser les idéaux de la Révolution nationale en mettant en place une politique mémorielle ambitieuse : cérémonies commémoratives, inauguration de nouveaux lieux de mémoire, cortèges en l'honneur de figures tutélaires, etc. Tous les moyens sont alors mis en oeuvre pour mobiliser la mémoire nationale au service du nouveau pouvoir politique.
Jeanne d'Arc : une figure religieuse fédératrice
Si les fêtes républicaines traditionnelles (14 juillet, 11 novembre) ne sont pas supprimées par le régime de Vichy, elles sont désormais accompagnées par de nouvelles célébrations visant à défendre les valeurs prônées par le régime. Parmi elles, certaines s'inscrivent dans une logique mémorielle. C'est le cas notamment de la fête de Jeanne d'Arc qui véhicule une forme de nationalisme chrétien et anglophobe.
Ces cérémonies sont enfin souvent accompagnées d'inauguration de statues visant à conserver dans la pierre la mémoire de cette figure tutélaire, mais aussi à accueillir les processions commémoratives pour les années futures : c'est le cas à Marseille en 1943.
Il est intéressant de constater que dans le guide de l'art sculptural dans le paysage urbain réalisé par la ville de Marseille, la dimension politique de cette représentation de Jeanne d'Arc est désormais complètement occultée au profit d'une lecture strictement religieuse.
Ces représentations monumentales sont cependant réservées à quelques villes en France. Dans le Paris occupé de 1942, la célébration se limite en effet à quelques dépôts de gerbe au pied de la statue de Jeanne d'Arc.
Le monument aux morts : un lieu de communion patriotique
Si la fête de Jeanne d'Arc constitue le symbole le plus représentatif de la politique mémoriel du régime de Vichy, il n'est cependant pas le seul. À chacun de ses déplacements dans une ville de France, le maréchal Pétain suit un parcours relativement balisé allant de l'église à la place publique en passant par le stade, chacun de ces lieux répondant un objectif symbolique précis. Or, le cortège s'arrête souvent au monument aux morts, ce qui donne l'occasion au maréchal Pétain de renforcer sa légitimité en rappelant son passé militaire, mais aussi d'insister sur sa volonté de rendre hommage aux morts pour la patrie.
Le maréchal Pétain au monument aux morts d'Orient à Marseille en décembre 2040 (source : SCA - ECPAD)
Les monuments aux morts sont cependant également les lieux qui rassemblent les premières contestations symboliques du pouvoir de Vichy et des Allemands. L'exemple le plus connu est la manifestation des lycéens et étudiants le 11 novembre 1940 devant l'Arc de Triomphe. Cet évènement bénéficie d'ailleurs depuis 2010 d'une plaque commémorative :
Source : www.defense.gouv.fr
Mémoire des rues
En plus des statues en mémoire de Jeanne d'Arc, le régime des Vichy n'a pas hésité à inaugurer des rues en l'honneur de son chef. La France n'avait certes pas attendu 1940 pour inaugurer des rues "Pétain", mais ce mouvement s'accélère avec la chute de la IIIe République. C'est le cas à Montluçon le 1er mai 1941, à Modane en avril 1941, à Toulon en mai 1941, etc.
Souvent, ces lieux associés au maréchal viennent prendre la place d'anciennes rues et avenues commémorant des figures que le nouveau régime souhaite désormais faire oublier : Wilson, mais aussi Gambetta.
Depuis, la plupart des villes ont à nouveau rebaptisé ces rues mais les monuments aux morts et les statues de Jeanne d'Arc sont restées l'objet de pratiques commémoratives qui se sont progressivement adaptées au contexte politique des régimes et dirigeants successifs.
Bibliographie
Rémi Dalisson, Les fêtes du Maréchal. Propagande festive et imaginaire dans la France de Vichy, Paris, Tallandier, 2007.
Rémi Dalisson, "Propagande, fêtes et symboles : la fête vichyste, une tentative de remodelage symbolique de l'espace urbain (1940 – 1944)", in Françoise Taliano-Des Garets, Villes et culture sous l'occupation, Paris, Armand Colin, 2012.