Pensez clé à molette, ciseau de sculpture, marteau, machette, ajoutez-y un zeste de romance, d’activités suspectes et de vengeance et vous obtenez un film coréen. Démembrements, tortures, mutilations, viols et meurtres sont des mots qui forment le leitmotiv d’une nouvelle vague de réalisateurs Coréens. Nées sous l’impulsion de la trilogie basée sur le thème de la vengeance de Park Chan-Wook et proposant un cinéma qui s’illustre par une fascination pour la violence, la poésie et l’amour, on vous propose une analyse des thèmes qui sont chers au cinéma du pays du matin calme.
Un genre à part
Une jeune génération de cinéastes commence à se manifester au début des années 2000, mettant en lumière un cinéma asiatique jusqu’alors représenté par les films hong-kongais de John Woo et quelques réalisateurs japonais comme Kitano. Cette nouvelle bande, ayant pour chef de file Park Chan-Wook, se caractérise par une volonté de créer un genre nouveau, cassant les codes, un peu à la manière de la nouvelle vague française, tout en tenant le spectateur en haleine. Empruntant au policier, thriller, comique et cinéma d’horreur, cette jeune génération jongle avec les genres sans pour autant sombrer dans une catégorie particulière. Le schéma de narration est peu familier et met en scène des anti-héros, à l’image de l’ex-flic reconverti proxénète de ‘The Chaser’ ou un gangster qui ne vit que pour son « job » dans A Bittersweet Life, faisant face à une situation de crise qui vient perturber un équilibre social, émotionnel, financier ou physique. Ce contrebalancement, c’est souvent un tueur en série qui l’amène (J’ai Rencontré le Diable, Memories of Murder et The Chaser) et vient annoncer une trame souvent orientée policier /thriller lorsque notre personnage principal part à la recherche du dangereux maniaque. Sauf que voilà… Ce meurtrier déséquilibré se retrouve face à face avec le héros plus rapidement qu’on ne l’avait espéré et souvent on assiste à un bon quart d’heure de course-poursuite, baston et de scène plus trash les unes que les autres ponctuées par des moments de ridicule nous faisant rire presque honteusement de manière inopportune. Notre anti-héros se découvre alors des qualités morales rédemptrices en opposition avec un monde immoral et cynique dans lequel il a su creuser son trou. Ces vertus, au grand dam de notre protagoniste vont très souvent causer plus de problèmes qu’elles ne vont en résoudre et l’emmèneront vers une confrontation finale se terminant en un bain de sang… littéralement.
Une esthétique violente
Les scènes d’une violence inouïe sont très souvent poétisées, en commençant par des évocations de tendresse au milieu d’une fusillade en passant par un morceau de Vivaldi alors qu’un personnage se fait arracher les dents au marteau jusqu’aux mouvements acrobatiques de caméra dans une scène ultra-violente nous rappelant entre autres Dario Argento. A la limite du malsain, ces scènes servent d’exutoire pour une douleur émotionnelle, que l’on fait subir à celui qui nous l’a infligée en nous privant de ceux que l’on aime (Lady Vengeance, J’ai rencontré le diable). On en vient parfois à se demander comment peut-on être témoin d’actes d’une violence à priori gratuite dans une société coréenne dans laquelle religion, respect, collectivisme et inhibition sont mots d’ordre ? Un élément de réponse n’est-il pas dans la question ? L’aliénation et le refoulement de pulsions d’ordre individuel au profit d’une société qui bannit individualisme semblent être les motifs qui poussent les tueurs en série du cinéma coréen au vice. Cette esthétique de la violence nous fait souvent nous interroger : et si la violence était une forme d’art ? Un moyen d’extérioriser une certaine créativité ? Un équivalent physique d’une douleur morale de laquelle on cherche à se soulager ? On se pose autant de questions qui nous dérangent qu’on entrevoit de scènes qui nous retournent l’estomac. Peut-être qu’en fin de compte il s’agit de montrer que nous sommes tous capables du meilleur comme du pire, et en particulier du pire lorsque poussé à bout par une justice corrompue et un monde immoral où l’on ne peut compter que sur soi-même pour trouver une justice. Au final, Lucifer dans ‘J’ai rencontré le diable’, est-ce le personnage de Lee Byung-hun, un respectable fiancé devenu un insatiable bourreau, ou le tueur incarné par Choi Min-sik?
La question du bien et du mal
C’est souvent autour d’une thématique de vengeance que se construit la trame du film : retrouver le meurtrier de sa fiancée, le boss qui a tenté de le tuer ou le trafiquant qui ruine son business. Derrière cette recherche il y a l’idée de faire payer, au prix du sang un acte impardonnable, même si cela doit coûter son âme :
« Je suis devenu un monstre mais je ne m’arrêterai qu’une fois ma vengeance assouvie »
« Même si je ne vaux pas mieux qu’une bête, n’ai-je pas le droit de vivre ? » Oldboy« J’irai jusqu’au bout » A Bittersweet Life
Et une fois la vengeance assouvie (on ne vous dit pas dans quels films), elle ne vient pas apaiser les tourments du personnage principal. C’est plutôt la prise de conscience de ses actes et de ce en quoi ils l’ont transformé qui vient le heurter en pleine face et fait de lui un (anti)héros tragique, condamné à vivre avec la honte de ses actions jusqu’à la fin de ses jours. Meurtres, incestes et viols font très souvent partie du tableau tout autant que les thèmes religieux qu’ils évoquent et qui viennent donner un cadre de référence moral à notre protagoniste. Après tout, qui de mieux que Dieux pour juger ici-bas?
On vous recommande:
- Sympathy For Mr. Vengeance par Park Chan-wook (2002)
- Memories of Murder par Bong Joon-ho (2003)
- Oldboy par Park Chan-wook (2003)
- A Bittersweet Life par Kim Jee-woon (2005)
- Lady Vengeance par Park Chan-wook (2005)
- The Chaser par Na Hong-Jin (2008)
- Mother par Bong Joon-ho (2009)
- The Murderer par Na Hong-Jin (2010)
- The Man From Nowhere par Lee Jeong-beom (2010)
- J’ai rencontré le diable par Kim Jee-woon (2010)
- New World par Park Hoon Jeon (2013)