Chacun connaît le metteur en scène iranien (40 films, Palme d’or au festival de Cannes, en 1997…). Mais ce livre de plus de huit cents pages prouve qu’Abbas Kiarostami est également poète. Son poème est bref, trois ou quatre vers… huit au maximum. Vers courts aussi, la plupart du temps. L’expression est donc condensée dans un minimum de mots. L’auteur joue sur les suites thématiques, les contrastes et l’humour. Premier thème (par ordre d’apparition) : la lune, avant la neige, les arbres, la guerre… Le thème est décliné en plusieurs haïkus :
comme je sortais de la maison
il y avait moi
et la lune
On reste parfois à la limite du banal, du plat, assez proche au final d’une certaine naïveté. Le poème peut se glisser jusque là sous sa plume. Comme un degré zéro du constat, de l’instant, où l’on se contente de noter ce qui est, au plus nu. Mais l’opposition et le paradoxe sont ferments d’autres pages
près du marais
il y avait des fleurs blanches
et une odeur fétide
L’humour enfin pimente son recueil
j’ai dit :
je suis prêt à toutes les questions
on m’a demandé l’heure
ou encore cette strophe où se mêlent les deux :
dans mon dictionnaire
socialisme
et saucisson
se suivent
Ces inclinations naturelles ne doivent pas occulter une tendance revendicative avec, par exemple, ce raccourci sidérant :
une balle
une cervelle
un jour
Tout est dit et dénoncé en six mots ! Une telle force avec pareille économie de termes ! Abbas Kiarostami se révèle par ailleurs un peu panthéiste, beaucoup d’éléments de son univers poétique sont douées de parole, ou pour le moins de pensée, les arbres en particulier, souvent symbole des hommes comme dans le titre général. Souvent la poésie se limite au paysage, croqué d’un clin d’œil, Kiarostami est aussi photographe (et peintre) ! Les clichés se voisinent, planche d’instantanés. Celui qui voit dans l’objectif demeure la plupart du temps absent du tableau. Pas de psychologie pour interférer dans la description.
l’épouvantail
transpire sous son chapeau de laine
l’été en plein midi
Autant de souvenirs épars rassemblés. L’auteur joue avec un certain nombre d’éléments que l’on retrouve dans ses pages, comme les nonnes, les pommes, l’araignée… qui, si l’on pouvait exhaustivement les lister, formeraient l’univers poétique d’Abbas Kiarostami.
Le dernier coureur du marathon
jette un coup d’œil derrière lui
Ce livre épais constitue pour l’heure son œuvre poétique complète.
[Jacques Morin]
Abbas Kiarostami, Des milliers d’arbres solitaires, collection Po&psy, éditions Erès, 2014,20€